CARRIÈRES PARISIENNES SOUS L'ENS : UN CHANTIER D'UNE AMPLEUR RARE
01/04/2019

CARRIÈRES PARISIENNES SOUS L'ENS : UN CHANTIER D'UNE AMPLEUR RARE


Accès à l’un des puits devant la grue, avec,à proximité, les moellons qui serviront à faire les piliers maçonnés.
Puits vu du bas.
Galerie de la carrière organiséepar hagues et bourrages.
Ciel de carrière brisé dansune galerie à peine à hauteurd’homme.

La tendance est de privilégier le comblement des carrières parisiennes fragilisées par injection de coulis. Des exceptions demeurent : le chantier de l’été 2018 de l’ENS dans le 14e arrondissement de Paris mobilise ainsi des savoir-faire qui se perdent pour conforter la carrière par la méthode des piliers maçonnés.

L’ENS, l’École normale supérieure, a déposé une demande de permis de construire pour rénover un ensemble de bâtiments – dont une partie résidentielle étudiante – sur son campus Jourdan, situé boulevard Jourdan dans le 14e arrondissement de Paris. Or, à Paris, toute demande de permis de construire est soumise à l’avis de l’IGC, l’Inspection générale des carrières.
Il ne s’agissait pas d’une restructuration lourde, mais l’IGC a néanmoins considéré que ces travaux pouvaient modifier les charges des bâtiments sur leur emprise au sol. Par principe de précaution, elle a prescrit le confortement des carrières de calcaire présentes dans le sous-sol de la parcelle.
Pour le maître d’ouvrage, l’urgence était de pouvoir accueillir le public étudiant à la rentrée de septembre 2018. Le maître d’oeuvre, SBPC, avait deux possibilités : conforter par injection ou par piliers maçonnés. Finalement, il alla à l’encontre du rapport géotechnique qui préconisait des injections, et eut l’aval de l’IGC pour retenir le confortement par piliers maçonnés.
Ce choix fut motivé par les délais, le coût et l’environnement du projet. La coactivité avec le chantier de rénovation des ouvrages en surface, qui avait déjà commencé, était problématique. La relative proximité de galeries de circulation et du viaduc de la Vanne, les enjeux patrimoniaux liés à ces carrières de calcaire et à des savoir-faire en voie de disparition l’ont conforté. Dans cette configuration, l’injection aurait, elle, présenté un double inconvénient : bien que maîtrisable, le risque de débordement de coulis sur les zones protégées subsistait ; et surtout, la durée incompressible des 28 jours de séchage du coulis de l’injection anéantissait tout espoir du maître d’ouvrage d’ouverture des bâtiments à la rentrée : une fois sèche, l’injection devait être contrôlée par un bureau de géotechnique, avant de recevoir l’aval du bureau de contrôle, qui entérine à son tour l’accueil du public dans le bâtiment. Dans le cas du confortement par piliers maçonnés, le contrôle visuel suffit à obtenir des levées de réserves et fait gagner de précieuses semaines…
Un chantier de cette nature et de cette ampleur est rare et exemplaire à maints égards. La carrière parisienne de calcaire grossier est typique des carrières situées au sud de la Seine. On en trouve également à Bagneux, Malakoff, Vanves, dans tout le 14e arrondissement, une partie du 12e, dans le 13e, le 15e et une partie du 16e. Certaines sont de véritables monuments souterrains, à l’instar des carrières sous le château de Vincennes.
Pour tenir les délais imposés sur la carrière de l’ENS, les entreprises de travaux Sefi-Intrafor et Botte Fondations ont répondu en groupement afin de mutualiser leurs ressources humaines. « Alors que l’injection aurait pu être très traumatisante pour la surface, commente Philippe Savouroux, responsable commercial de l’activité confortement de carrières de Sefi-Intrafor, on s’est contenté ici de creuser seulement deux puits. »
Reconnaissant que cette technique des piliers maçonnés n’est plus couramment utilisée, il ajoute :
« Aujourd’hui, on va davantage vers de l’injection, car c’est moins cher, surtout quand on peut aller sur des terrains vierges. » Il explique comment sont déterminés le nombre et le dimensionnement des piliers : « On calcule en fonction du recouvrement, c’est-à-dire la distance entre le ciel et le toit de la carrière, et de la résistance du ciel de la carrière. Il ne peut pas être inférieur à 20 % de la surface bâtie. Les piliers sont installés sous l’emplacement des bâtiments. »

Les informations disponibles avant travaux étaient celles de la carte des carrières qui signalait, entre autres, la présence d’un étau de masse, une surface dense sans cavité. Ces carrières avaient été exploitées par la méthode dite de « hagues et bourrages ». Les hagues sont des murs en pierre
sèche qu’on montait de part et d’autre des galeries, et derrière lesquels on laissait les remblais. L’étau
de masse laissé correspond au calcaire qui n’a pas été exploité en raison de sa moindre qualité.
En l’absence d’accès, il a fallu creuser deux puits pour descendre les hommes et le matériel. Ces puits
ont été positionnés par rapport aux galeries existantes et au cheminement supposé ou espéré. Au vu
des conditions de travail difficiles sous terre, il fallait limiter le cheminement des ouvriers d’un point à
l’autre. Le puits a été percé par une machine de pieux jusqu’au toit de la galerie. Puis, une fois un tube
inséré, le ciel de la galerie a été brisé, mais pas avec la machine de pieux, pour ne pas faire effondrer
la carrière.
Une fois que les puits ont permis de se rendre sous terre, un géomètre est descendu implanter les axes des bâtiments. Les entreprises ont alors découvert des galeries qui n’étaient pas répertoriées sur la carte de l’IGC, ainsi qu’un imprévu : la dalle du ciel de carrière était cassée en un point et il était impossible d’y mettre un pilier. Le maître d’oeuvre, SBPC, avait anticipé ce type d’aléa et fait valider au
maître d’ouvrage un potentiel surcoût. Un soutènement provisoire est installé avec une cale à bras
sur ce ciel menaçant pour la durée du chantier. À la fin, une injection est faite sur cette portion délimitée entre deux murages, et le puits est utilisé pour faire passer le coulis. Le mortier de cette étape finale est apporté sur le chantier par une toupie pour le comblement gravitaire et le clavage*. Comme cette anomalie est située sous un espace vert et non un bâtiment, il n’y a pas d’étape de traitement. Pour phaser et manager un tel projet, il faut veiller à réduire le nombre et le temps des remontées et descentes d’hommes, ainsi que les temps de cheminement sous terre. Les galeries vides existantes sont rebouchées avec de la terre recueillie en creusant afin d’éviter de remonter trop de matières.
Une fois les travaux terminés, le maître d’oeuvre fait la synthèse du DOE et les envoie avec les plans
réactualisés à l’IGC de Paris qui met à jour ses cartes et donne son avis sur le permis de construire.
Cette activité de niche du confortement par piliers maçonnés se perd ; elle exige beaucoup de main-d’oeuvre et les conditions de travail sont particulièrement difficiles. En Île-de-France, il ne reste plus que 3 ou 4 entreprises capables de les réaliser.