VIDES SOUS VOIES FERRÉES : DES INJECTIONS PAS COMME LES AUTRES
01/04/2019

VIDES SOUS VOIES FERRÉES : DES INJECTIONS PAS COMME LES AUTRES


Gare de Motteville (Normandie) : des engins ont des chenilles en caoutchouc, desprotections sont posées sur les rails et une pompe déverse dans une bassine les déblais du forage pour ne pas polluer le ballast.
Technicentre Châtillon-Montrouge (Île-de-France) : 3 foreuses sont simultanément en action pour optimiser le temps. Ce sont de toutes petites machines posées sur des voies ferrées difficiles d’accès pour une nuit de travail qui commence.

Les chantiers pour diminuer le risque lié à l’existence de vides sous les plateformes SNCF, les voies ferrées ou les gares par des opérations d’injection s’apparentent à des courses contre la montre, appareillées comme pour un rallye automobile. Management, machines, modalités d’intervention, tout est adapté aux multiples contraintes spécifiques au ferroviaire.

Il n’y a pas de surprise quant à la nature et l’origine des vides sous voies ferrées : phénomènes de dissolution de gypse ou de type karstique, carrières, mines, sapes de guerre… Ce sont les mêmes cavités, d’origine naturelle ou anthropique, inconnues ou surveillées, qui existent et peuvent poser problème sur tout le territoire. Les nombreuses particularités du trafic ferroviaire et sa colossale organisation rendent les modalités pour réduire les risques liés à ces vides souterrains spécifiques en tous points.
L’entreprise Soletanche Bachy a développé une expertise pour intervenir sur ces opérations liées au rail. Le donneur d’ordre majeur, la SNCF, s’organise avec une maîtrise d’oeuvre interne et l’appui d’un assistant à maîtrise d’oeuvre, tantôt un département en interne spécialisé en ingénierie générale, tantôt un bureau d’études externe. Les consultations et les modes de passation de tous les marchés sont propres à l’opérateur ferroviaire, les entreprises consultées ayant impérativement des références et des qualifications SNCF.
Compte tenu des linéaires pharaoniques que représentent les voies, il n’y a pas de cartographies de ces sous-sols. La SNCF sait que, dans le Nord, il peut y avoir des zones sous-cavées qui datent de la Première Guerre mondiale, ou qu’en Normandie il y a une marnière tous les kilomètres, à l’instar du chantier sur des marnières à Motteville (voir photos). Les services de la SNCF surveillent l’état des voies. Lorsqu’ils aperçoivent des flaches qui se créent, c’est-à-dire une dépression superficielle de forme arrondie, ils font alors des sondages ou des analyses à l’aide de méthodes géophysiques pour vérifier la nature de l’anomalie et évaluer le besoin de la traiter. La SNCF a ainsi des marchés de forages destructifs pour être réactive à tout moment.
Les spécificités du trafic ferroviaire sont multiples ; le poids des trains et de ce matériel roulant lancé à grande vitesse exige un sous-sol capable d’en supporter la charge.
Les compacités d’un sous-sol et du ciel d’une carrière doivent être compatibles avec le trafic ferroviaire. À l’opposé, un ciel de carrière qui s’est effondré, créant par là même un fontis, ne permet pas de supporter le trafic ferroviaire et doit être consolidé.

 

UNE BATAILLE CONTRE LE TEMPS


Les horaires d’utilisation des plateformes avec lesquels il faut composer constituent la première contrainte majeure du milieu ferroviaire. En général, il faut travailler pendant des coupures de la circulation des trains. Comme ce sont des voies électrifiées, elles vont de pair avec des coupures de caténaires. Le tout fait l’objet de procédures longues et fastidieuses qui prennent, au minimum, à chaque fois, d’une demi-heure à trois quarts d’heure avant de commencer les travaux, et, ensuite, avant de rendre les voies. La durée d’intervention effective sur une nuit de travail est au mieux de 5 heures, avec 2 heures et demie à 3 heures de temps mort sur les créneaux affectés au chantier.
Les travaux de week-end se font généralement à la faveur de la coupure totale de la circulation, ce qui permet de disposer d’une plage horaire qui peut démarrer le vendredi à 23 h pour se terminer le lundi à 4 h du matin. L’entreprise s’organise alors en faisant tourner les équipes pour qu’il n’y ait aucun temps mort sur la période.
La vie ferroviaire étant soumise à maints aléas et une priorité pouvant en cacher une autre, il n’est pas rare que le temps de disponibilité soit réduit à 2 ou 3 heures, ou encore que le chantier ne se fasse pas et soit reporté.

 

UN MATÉRIEL SPÉCIFIQUE


Réduite et aléatoire, la durée de travail effective n’en est que plus précieuse. Elle ne souffre d’aucune panne, doit s’adapter aux imprévus et libérer les voies sans anicroche ni retard, les retards dans la restitution des voies étant très lourdement pénalisés par le maître d’ouvrage, pour qui cette dernière est vitale. Les machines sont donc souvent installées en doublon pour éviter que les pannes éventuelles nuisent au chantier, et un mécanicien, prêt à intervenir à la moindre panne, fait partie du roulement de chaque équipe.
En fonction de la durée et de taille des chantiers, Soletanche Bachy prévoit une foreuse et des pompes d’avance, ainsi que des machines pour pouvoir suppléer très vite en cas de panne. Les machines sont choisies pour pouvoir être installées et retirées rapidement, aisément grutées sur les voies. De même, elles sont le plus souvent relativement légères et montées sur des chenilles en caoutchouc pour pouvoir rouler sans détruire les rails ; à défaut, les plateformes ferroviaires doivent être particulièrement bien protégées.
Le lieu de stockage du matériel et des machines varie en fonction des chantiers. Les foreuses vont être plus ou moins garées sur les quais ou sur un délaissé le long des voies. Pour les centrales
d’injection, la préférence est de les installer au milieu du chantier, mais il arrive qu’elles soient installées à plusieurs centaines de mètres, ce qui là encore demande des adaptations techniques pour transporter le coulis.

 

UNE ORGANISATION HUMAINE COMPLEXE


Les équipes sont ainsi mobilisées 35 h sur la semaine, payées 35 h, durée d’attente et de non-travail incluse, pour une moyenne de 20 h travaillées effectives. À cette amplitude de non-travail rémunéré s’ajoute le coût des primes de week-end, des tarifications de travaux de nuit, des repos compensateurs.
Cette organisation a une double incidence sur les ressources humaines : d’une part, le coût de la main-d’oeuvre se répercute inévitablement en partie sur le coût de la prestation ; d’autre part, il faut déployer un management spécifique pour une extrême préparation en amont et une hyperadaptabilité au fil du chantier pour, à la fois, constituer les équipes, mécanicien compris, les mobiliser, leur expliquer les attendus, négocier les conditions de rémunération, puis gérer les retournements de situation au jour le jour.

 

MODE OPÉRATOIRE SOUS HAUTE PROTECTION


Une voie ferrée est composée de rails et de traverses qui reposent sur du ballast. La souplesse de ce lit de graviers est une propriété mécanique vitale. Il est impératif de ne pas déformer les premières et de ne pas polluer le second. Du coulis de ciment dans le ballast le transforme en dalle de béton, ce qui crée des chocs, abîmant rails et trains. Cela nécessite donc d’adapter toutes les procédures par rapport aux chantiers d’injection classique.
Un chantier d’injection commence toujours par combler des vides : c’est l’étape de mise en sécurité. Sur les voies SNCF, les étapes sont les mêmes, mais les modes opératoires diffèrent. La deuxième phase est celle du traitement, qui correspond à la phase de consolidation ; c’est elle, explique Guillaume Douheret de Soletanche Bachy qui va « venir améliorer les terrains tout autour du forage qu’on a réalisé pour restituer sous la plateforme ferroviaire des caractéristiques géomécaniques compatibles avec la circulation des trains ».
Le maillage des forages diffère de l’injection classique, de même que les équipements des trous sont spécifiques. Les maillages demandés par la SNCF aujourd’hui sont de 3 m x 3 m, alors qu’il est de 5 m x 5 m pour les habitations et 7 m x 7 m pour les espaces publics ou espaces verts, dans les périmètres à risques de l’IGC de Paris. La profondeur des forages dépend, elle, des anomalies.
Contrairement à l’injection classique, le même tuyau est utilisé pour le comblement, puis pour la consolidation. On empile les deux équipements, un premier tube pour faire du comblement clavage, et les tubes à manchettes pour faire le traitement. Ce 2-en-1 est lié à une autre contrainte : sur les chantiers standards, on ne s’inquiète pas des éventuelles remontées de coulis… alors qu’ici il faut à tout prix les éviter sur le ballast !
D’où l’installation en haut du tuyau d’un sac séparateur, serré très fortement pour qu’il soit étanche, et positionné à 2 m en dessous de la surface. Le coulis de ciment va gonfler ce sac et créer une chambre étanche qui limite très fortement le risque que le mortier, quand il remonte, n’aille dans le ballast. Or, le sac séparateur ne fonctionne que lorsqu’il y a un seul tube…
Autre spécificité vitale : il faut récupérer tous les déblais de forage, car le tricône de la tête de forage en a fait un matériau fin qui pourrait polluer le ballast ; d’où les grandes bassines carrées avec un joint, observées sur les voies pendant les injections.
La phase de contrôle tout au long du process est primordiale et porte sur différents fronts. Des forages d’évents sont réalisés tous les 5 forages d’injection sur 2 m de profondeur ; ils sont équipés d’un tube en PVC pour vérifier qu’il n’y a pas de remontées de coulis, ou, au contraire, alerter pour stopper immédiatement l’injection.
Les forages peuvent aussi générer des tassements, ou encore la pression de l’injection peut créer des débuts de soulèvement de voies. Changer l’altimétrie des voies pour des trains qui roulent vite sur des lignes très horizontales peut être très préjudiciable. Les avancées des travaux sont donc contrôlées en temps réel par des niveaux laser rotatifs, et de plus en plus par des théodolites motorisés. On fixe des cibles sur le chantier à des endroits déterminés, et si une cible a bougé de plus d’un certain seuil, 2 ou 3 mm, il nous alerte avec une alarme qui peut bloquer les pompes et arrêter les injections. La petite complexité est qu’il ne faut personne dans le champ situé entre la cible et le théodolite quand celui-ci fait la mesure.
Enfin, l’injection appelant obligatoirement un contrôle final, après les 28 jours de séchage pour que le coulis durcisse, des sondages de contrôle destructifs sont réalisés par des bureaux d’études de sol pour mesurer l’absence de vides. En fonction des obligations de résultat de compacité, etc., ils feront également des essais de pressiométrie.
Tout cet enchaînement exige un déploiement d’une grande agilité pour offrir une mécanique sans faille, et parer au plus vite au moindre risque ou débordement.