TUNNEL ÉOLE : UN CHANTIER GÉANT À L'IMPACT ENVIRONNEMENTAL LIMITÉ - <p>La station de traitement des boues de marinage.</p>
05/11/2020

TUNNEL ÉOLE : UN CHANTIER GÉANT À L'IMPACT ENVIRONNEMENTAL LIMITÉ


Germain Camus, expert en tunnelde Bouygues Construction.
La conduite aérienne qui surplombeles voies de Courbevoie.

Entre Courbevoie et Paris-Hausmann - Saint Lazare, le tunnelier Virginie doit creuser plus de six kilomètres de
galerie monotube en limitant les nuisances en surface. Adepte de la technique dite à « pression de boue », il bannit
le camion de la chaîne d’évacuation des déblais au profit d’une conduite de marinage et d’une usine de traitement,
dont les résidus solides sont évacués par péniches. Sans aucun emprunt ni rejet en Seine.

Le projet Éole, prolongement de 55 km du RER E vers l’ouest, est un pilier majeur de la désaturation d’une partie de l’Île-de-France, ultradense en termes de circulation. Il bénéficiera aux 650 000 voyageurs qui l’emprunteront quotidiennement, mais également à de très nombreux autres voyageurs, sur plusieurs lignes majeures de RER et du réseau transilien.
La branche « ouest » qui ira de Mantes-La-Jolie à Rosa-Parks, et sera mise en service en 2024, comprend le percement d’un tunnel de 6,1 km entre Courbevoie et Haussmann - Saint-Lazare, la création de 3 nouvelles gares – dont 2 souterraines, la rénovation et le réaménagement
de 47 km de voies ferrées et la modernisation de 11 gares existantes.
Avant de battre des records de vitesse (le métro automatique devrait circuler à 120 km/h entre Paris et La Défense), la future ligne engage des travaux souterrains d’infrastructures nouvelles qui mobiliseront près des deux tiers des 3,8 Mrds € pour la totalité de la ligne, coût estimé suivant les conditions économiques de 2012. Les gares souterraines de Porte-Maillot et La Défense, ainsi que le tunnel reliant La Défense à Haussmann - Saint-Lazare, concentrent la majorité des efforts financiers et
techniques.

 

PRESSION DE BOUE OU PRESSION DE TERRE


Le groupement d’entreprises attributaire du lot génie civil du tunnel Éole, mené par Bouygues Travaux publics (mandataire), Eiffage et Razel-Bec*, a emporté l’appel d’offres de la SNCF, maître d’ouvrage, avec une solution innovante variante au marché initial. Au lieu du tunnelier à pression de terre –
majoritairement déployé sur les autres projets de tunnels du Grand Paris (soit une vingtaine de tunneliers actuellement) –, le groupement a construit son offre autour d’une solution à pression
de boue. « L’argument principal évoqué à l’époque était que cette technique présentait de meilleures garanties de maîtrise des tassements. Quoi qu’il en soit, la variante à “boue” finalement adoptée se montre très satisfaisante en termes d’impact environnemental. Elle évite la circulation de 250 camions/
jours supplémentaires dans les rues de Courbevoie, réduisant d’autant les nuisances incidentes », relève Xavier Gruz, directeur du projet Éole pour la SNCF.
En effet, l’évacuation des déblais du creusement ne se fait plus en l’occurrence par la route, mais par la Seine, via des péniches les conduisant jusqu’en Normandie, principalement, où ils serviront au comblement de carrières.

 

PRESSION DE BOUE : PRINCIPE DE FONCTIONNEMENT


Dans la technique de forage à pression de boue, la chambre d’abattage où se trouve la roue de coupe est maintenue sous pression grâce à l’injection d’une eau additionnée de bentonite. La pression de la chambre d’abattage est maîtrisée par l’intermédiaire d’une « chambre à bulle ». Située en aval, cette dernière tire son nom de la présence en son sein d’une bulle d’air dont la pression est ajustée par un régulateur. « Il appartient au pilote du tunnelier d’ajuster et de maîtriser ses seuils de pression au front de taille pour en garantir sa stabilité lors du creusement et éviter les sur-excavations, synonymes de potentiels tassements en surface », explique Germain Camus, expert en tunnel de Bouygues Construction, qui occupe les fonctions de responsable de la production sur le tunnel Éole.

Cette pression au front est préalablement calculée par un bureau d’études en fonction de la profondeur du tunnel, de la géologie des terrains traversés et du niveau de la nappe phréatique.
La méthode de creusement à pression de boue s’adapte à des sols de faible tenue comme les sables ou de bonne tenue comme le calcaire ou l’argile. « La difficulté que nous rencontrons sur Éole
est de progresser sans cesse entre deux couches géologiques de nature très différente. Cela nous conduit notamment à ajuster les paramètres d’excavation du tunnelier dont les débits de marinage, la vitesse d’avancement, la rotation de la roue… mais aussi la qualité de la boue utilisée pour le marinage. »

 

JUSQU’À 1 000 M3 PAR JOUR D’EAU REJETÉE


La bentonite introduite dans l’eau a pour sa part comme fonction de créer une membrane imperméable sur les parois de la chambre d’abattage pour garantir le soutènement.
Sa proportion varie également en fonction de la nature géologique des sols. « En présence d’un sol stable et imperméable, nous travaillons avec une concentration de bentonite nulle. En revanche, dans
des terrains comme le sable nous avons tendance à travailler avec une concentration de bentonite élevée. Finalement, la proportion de bentonite injectée est de quelques dizaines de kilogrammes par
mètre cube », relève Marin du Couedic, ingénieur travaux responsable de la station de traitement des boues. Deux silos de bentonite en poudre sont toutefois installés dans la station.

Préservation de l’environnement oblige, aucun prélèvement d’eau n’est fait en Seine. D’ailleurs, la qualité de l’eau du fleuve ne conviendrait pas à la l’emploi dans le circuit mis en place pour un creusement au tunnelier.
Les rejets se font aussi hors Seine, dans le réseau urbain. Le groupement a en effet conclu un accord avec la Sevesc (Société des eaux de Versailles et de Saint-Cloud) qui l’autorise à rejeter plus de 1 000 m3 d’eau journellement. Et il ne s’agit là que d’eau traitée par la station, venant du surplus d’eau non réinjecté dans le circuit fermé hydraulique reliant le tunnelier à la station. Les deux ne peuvent d’ailleurs fonctionner l’un sans l’autre.

 

UNE STATION CONSTRUITE SUR LA SEINE


Avant que le tunnelier ne creuse ses premiers mètres, il fallait donc que la station soit opérationnelle. Dans un contexte urbain très dense du puits de départ du tunnelier, sur la commune de Courbevoie, la maîtrise d’ouvrage pose dès l’appel d’offres l’objectif de minimiser l’impact environnemental de la logistique de traitement des boues et d’évacuation des déblais, par l’évacuation par voie fluviale, en réduisant le transport routier. Le groupement d’entreprises a alors repris la configuration de base et imaginé une station de traitement des boues à flanc des berges de Seine, et reliée au puits d’évacuation des déblais par une conduite de marinage sur une passerelle aérienne.
L’estacade sur laquelle la station repose mesure 180 m de longueur pour 25 m de largeur. Plus précisément, deux lignes de pieux et une ligne de micropieux soutiennent les poutres métalliques supportant les hourdis en béton et une dalle en béton de 40 cm d’épaisseur, socle des bâtiments et des équipements techniques. C’est la société MS, implantée à Clermont-Ferrand, dont c’est la spécialité, qui a réalisé la construction de la station. « Tous les chantiers de tunnelier à pression de boue disposent d’une station, mais la caractéristique d’Éole est que celle-ci soit éloignée de près de 1 km du puits Gambetta, point de lancement du tunnelier », note Marin du Couedic.
Pour assurer le marinage des boues jusqu’à l’installation, les entreprises ont érigé à plusieurs mètres au-dessus du sol une structure métallique provisoire qui héberge les conduites de marinages sur environ 900 m sans entraver la circulation des véhicules et des piétons. En juillet 2020, cette structure a été démontée, le puits Abreuvoir, plus proche de la station devenant le nouveau point de raccordement des conduites.

 

2 500 M3 À L’HEURE DE BOUE EN CIRCUIT FERMÉ


Station de traitement et conduites ont été dimensionnées pour assurer un flux de 2 500 m3/h, nécessaire au bon fonctionnement du tunnelier quand il progresse à plein rendement. Pour son
alimentation en boue bentonitique, ce sont des conduites de 450 mm de diamètre qui sont mises en place. En sortie de tunnelier, la boue est chargée des déblais du creusement. Pour assurer
le flux malgré les frottements, les conduites installées sont d’un diamètre supérieur (500 mm). De même, le pompage est renforcé. Alors que 3 pompes suffisent à l’apport en boue « propre », il en faut 7 au groupement pour garantir la circulation des boues chargées dites de « retour » jusqu’à la station.
Charge à cette dernière de traiter ces boues de marinage pour permettre leur réutilisation par le tunnelier. Par exemple, la boue régénérée ne doit pas contenir plus de 5 % de sables.
« C’est le seuil que nous nous sommes fixé au-delà duquel les sables sont susceptibles d’accélérer l’usure des équipements, notamment de pompage, et d’impacter le caractère imperméable
de la membrane », précisent de concert Marin du Couedic et Germain Camus.
Véritable usine hydraulique, la station de traitement sépare et filtre les eaux de marinage en déroulant un process en plusieurs étapes.

 

DU TROMMEL AUX FILTRES À PRESSE

 

Les boues chargées passent en premier lieu dans un trommel, large cylindre rotatif qui les débarrasse des cailloux et des amalgames supérieurs à 7 mm de diamètre. Les eaux toujours chargées en sables passent quant à elles au cyclonage. Deux types de cyclones successifs permettent de dessabler la boue, c’est à dire d’y extraire les particules supérieures à 63 μm. Une fois séparés de la boue, les sables sont essorés en passant sur une table vibrante.
La boue qui repart vers le tunnelier fait l’objet d’une analyse rhéologique stricte. « Nous mesurons notamment la viscosité, la perméabilité et la densité », intervient le responsable de la station.
« Si les caractéristiques rhéologiques ne correspondent pas aux critères requis, nous modifions les paramètres de pilotage et corrigeons la boue ». Cela génère donc de la boue en excès qui doit
être éliminée. Elle est alors dirigée vers la dernière étape de traitement, la salle des filtres à presse. Là, la filtration s’effectue sous pression dans des chambres étanches. L’eau – le filtrat - est séparée
des fines, agglomérées en galettes, et qui sont dirigées vers un stock tampon, capable d’accueillir l’équivalent d’une nuit de travail. « Tous les équipements sont dans des bâtiments acoustiques,
de façon à préserver les riverains des bruits de machines et engins de chargements durant la nuit, tout en continuant à fonctionner 24 h/24 », souligne Marin du Couedic.

 

2 500 TONNES DE RÉSIDUS EXPÉDIÉS PAR BARGE


La totalité des résidus solides est expédiée par barge. Chacune d’entre elles est capable d’emporter près de 2 500 t de déblais, soit l’équivalent de 100 camions. Cela a permis d’éviter un surplus de véhicules sur les voies déjà encombrées de la commune de Courbevoie.
Pour l’évacuation des solides, le groupement d’entreprises a conclu un accord avec LafargeHolcim Granulats qui assure la logistique des déblais, fournissant barges, tri et affectation des déblais. La composition des déblais est aussi contrôlée afin de définir leur classement : déchets non dangereux K2, déchets inertes K3, ou autres.
« Pour le moment nous traversons principalement des terrains avec de l’argile, dont peu sont réaffectés en couche de chaussée ou en remblai routier, par exemple », relève Germain Camus du groupement Éole GC TUN. Dont acte, la grande majorité des déblais du chantier prend donc la direction de carrières Lafarge dans l’Eure et les Yvelines (Bernières-sur-Seine, Muids [Eure] ou Sandracourt et Triel-sur-Seine [Yvelines]), dont elle favorisera le réaménagement.

 

Philippe Morelli
* Le groupement Éole GC TUN regroupe : Bouygues
Travaux Publics, Razel-Bec (Fayat), Eiffage Génie
Civil, Eiffage Fondations et Sefi-Intrafor.