CONSTRUIRE DANS UNE « DENT CREUSE » URBAINE
01/06/2019

CONSTRUIRE DANS UNE « DENT CREUSE » URBAINE



Calcul du soutènement.
Étude du cône de rabattement de nappe.
Modélisation aux éléments finis.

En raison de fortes contraintes géologiques, hydrogéologiques et d’avoisinants variés, la conception de ce projet immobilier en plein site urbain à Antibes - Juan-les-Pins a nécessité d’importantes études de conception en géotechnique.

Ginger CEBTP a été missionné pour réaliser les études de conception (G2 AVP et PRO), ainsi que la supervision géotechnique (G4) de ce projet immobilier urbain qui prévoit la construction d’une résidence accueillant des personnes âgées. Elle se décompose en 3 blocs principaux, à savoir deux blocs en R+5 pour les logements et un bloc central en rez-de-chaussée. Il est également prévu de réaliser un niveau de sous-sol général, destiné au stationnement. La maîtrise d’ouvrage est assurée par Sophia Antipolis Habitat.

 

LES AVOISINANTS


Situé au croisement de deux avenues, le projet s’implantera en lieu et place d’un parking bordé par plusieurs ouvrages de nature variée, avec des incidences propres à chacun. Il s’inscrira partiellement ou entièrement en mitoyenneté à l’ouest avec un immeuble en R+6 et ses 5 niveaux de sous-sol, à l’est avec un immeuble en R+4 avec 1 niveau de sous-sol, des constructions en rez-de-chaussée à R+1, et un mur en maçonnerie ancien. Si l’état structurel de ces mitoyens est mal connu, il est globalement supposé vétuste. Au nord, à moins de 5 m de l’emprise des terrassements du R-1, un mur de soutènement de 2,1 m de haut soutient le remblai SNCF de la ligne Marseille-Vintimille, avec une différence d’altitude de 5 à 7 m entre le parking et les voies.
Ce contexte pose la problématique de la préservation des mitoyens et avoisinants au cours des travaux d’excavation et durant la vie de l’ouvrage, accentuée par les incertitudes qui pèsent sur l’état structurel des mitoyens à l’est.
À cela s’ajoutent les contraintes vis-à-vis de l’exploitation des voies SNCF, pour lesquelles les seuils de tassements admissibles sont très faibles.

 

UNE GÉOLOGIE SINGULIÈRE


Le contexte géologique et géotechnique singulier apporte à son tour son second lot de contraintes. Situé dans une zone de sismicité 3,
l’ouvrage sera de fait soumis à des sollicitations horizontales, associées à un aléa fort d’inondation. L’étude bibliographique a révélé que la géologie attendue sur site est de nature alluvionnaire, reposant sur des marnes triasiques, altérées en surface. Des campagnes d’investigations géotechniques ont été réalisées au droit du site, avec un ensemble de sondages incluant des prélèvements par carottage et des essais pressiométriques. Des puits de reconnaissance des fondations des mitoyens ont
complété cette campagne. Les tests en laboratoire qui ont suivi les sondages incluaient notamment des essais de cisaillement.
Ces investigations ont mis en évidence des alluvions argilo-sableuses et de marnes altérées, présentant des épaisseurs et des caractéristiques mécaniques de faibles à bonnes, mais très hétérogènes spatialement, reposant sur un substratum marneux plutôt sain. Ce dernier, au sein duquel ont été mesurées de très bonnes caractéristiques mécaniques, constitue l’horizon d’ancrage pressenti pour les fondations.

 

L’HYDROGÉOLOGIE AUSSI


Pour préciser le contexte hydrogéologique, un suivi piézométrique a été effectué dans deux forages afin de suivre le battement de la nappe et d’établir les niveaux d’eau réglementaires, cette fois dans le cadre d’une mission hydrogéologique spécifique, réalisée par Ginger Burgeap. L’étude a montré la présence d’une nappe alluviale à faible profondeur, interagissant avec le sous-sol du projet. Ce constat a entraîné plusieurs sujétions : il appelle, d’une part, la nécessité de réaliser un pompage pour mettre le fond de fouille hors d’eau, ce qui engendre latéralement un cône de rabattement sous les avoisinants ; et, d’autre part, l’ajout d’un dispositif d’étanchéité pour protéger le sous-sol contre les infiltrations d’eau, en conditions d’exploitation. Mais le rabattement de nappe présente le risque d’induire des tassements au droit des avoisinants, qui s’ajouteront à ceux engendrés par les travaux de terrassement.


LA CONCEPTION IMPACTÉE


D’autres contraintes impactent la conception. Les blocs du bâtiment présentent des hauteurs différentes et apportent par conséquent des charges différentes au terrain. Rendre chaque bloc structurellement indépendant des autres pose le problème de la continuité du niveau bas et donc de son étanchéité. Or, la pose de joints waterstop a été écartée pour des raisons de complexité d’exécution. Une solution d’ouvrage monolithique sur radier continu a donc été retenue.
Au regard des charges différentes apportées par chacun des blocs, et la forte variation de profondeur du toit des marnes saines, une solution de fondations superficielles ou de renforcement de sol a été écartée, pour ne pas s’exposer au risque de tassements différentiels. Une solution de fondation profonde sur pieux a donc été privilégiée. La conception a également été orientée vers un mode de soutènement par paroi berlinoise ou microberlinoise.

 

UNE NÉCESSAIRE APPROCHE GLOBALE


La première étape de l’étude a été d’établir un modèle géotechnique sur la base des reconnaissances effectuées. Cette étape passe par une compréhension poussée du contexte global du projet et oriente les choix de conception. Des paramètres relativement sécuritaires ont été retenus dans les alluvions et les marnes altérées afin de tenir compte des fortes hétérogénéités mécaniques dans l’espace (en particulier au sein des alluvions).
En l’absence d’essais réalisés en leur sein, les remblais SNCF ont quant à eux fait l’objet d’une analyse en stabilité inverse à l’aide d’un progiciel métier pour caractériser un jeu de paramètres de cisaillement. La seconde étape, tout aussi cruciale, a été de définir un phasage de travaux permettant de limiter leur influence sur les avoisinants : terrassements par passes, maintien de risbermes et butonnage.

Pour étudier l’impact des travaux sur chaque avoisinant et dimensionner les soutènements, plusieurs coupes de calcul critiques ont été définies, à raison d’une par avoisinant. Le choix de ces coupes a été principalement régi par la distance des avoisinants aux soutènements. Le dimensionnement des soutènements a été mené à l’aide d’un progiciel métier, qui permet de calculer les sollicitations et les déformations subies par le soutènement : phases travaux, situation d’exploitation et conditions
sismiques.
Pour chaque profil, un calcul aux éléments finis mené par la méthode des éléments finis a permis d’étudier les tassements sous avoisinants. Cette approche autorise l’intégration du phasage de travaux, la modélisation du rabattement de nappe sur la base des essais de pompage. Elle permet de déterminer la part de tassement due au rabattement de nappe et celle due à la décompression des sols à l’amont de l’écran. Pour chaque phase de travaux, l’intégration de la déformée du soutènement est évaluée par calculs.
Les sols ont été modélisés avec une loi de comportement de type Hardening Soil. L’étude a montré que le rabattement avait une influence majeure sur les tassements totaux calculés au droit des avoisinants, ceux-ci représentant environ 2/3 du tassement total.
Au regard des seuils de tassements admissibles et des valeurs de tassements calculées, la solution de berlinoise le long des voies SNCF n’a pas été jugée acceptable. En seconde approche, une solution de soutènement par paroi moulée a été retenue le long des voies. En l’absence de mitoyens, celle-ci a été étudiée pour reprendre des descentes de charges. La paroi a donc été approfondie, au-delà de la fiche nécessaire pour assurer le seul rôle de soutènement, afin de présenter une capacité portante suffisante vis-à-vis des sollicitations. De par son ancrage dans les
marnes saines, très peu perméables, elle limite également grandement l’influence du pompage sous le remblai SNCF et contribue à réduire la part de tassement due au rabattement de nappe. Les calculs ont en effet montré que le tassement dû au rabattement seul de la nappe a été divisé par un facteur 3 avec une solution de paroi moulée et que le tassement total au droit des voies SNCF a été diminué en deçà du seuil admissible pour l’exploitation. Il a également été constaté que la part de tassement due au rabattement a été divisée par un facteur 2.
En ce qui concerne les fondations, les pieux ont dû être espacés de 3 diamètres du nu des mitoyens, afin d’éviter tout phénomène d’interaction avec les structures mitoyennes. Le porte-à-faux est à reprendre au moyen de longrines. Les soutènements par berlinoise ou microberlinoise ont été dimensionnés pour ne pas reprendre de descentes de charges, afin de ne pas influer sur les mitoyens.
Cette étude a fait interagir plusieurs pôles de compétences, géotechnique, structure, hydrogéologie, chacun apportant son lot de contraintes à la conception, auxquelles s’ajoutent celles imposées par l’environnement du projet. Il était donc crucial d’avoir une vision globale du projet, avec une compréhension des contraintes de chaque acteur, afin de proposer une conception viable et consensuelle, tant sur l’aspect technique qu’économique. Il faut ainsi garder à l’esprit qu’une solution optimisée pour un pôle peut s’avérer insuffisante pour un autre : une solution de palplanches ancrées dans les marnes saines aurait suffi à étanchéifier l’excavation, mais n’aura pas offert des garanties suffisantes vis-à-vis des exigences de déplacements.
Il faut également être conscient des limites des outils de calcul utilisés. Les critères de tassement admissibles sous les voies SNCF et les valeurs de déplacement calculées sont proches du degré de précision des outils de calculs. Ces valeurs sont ainsi à considérer comme des ordres de grandeur de déplacement. Le suivi observationnel permettra de maîtriser l’impact des travaux sur les avoisinants par des adaptations en cours de chantier, le cas échéant.

 

Thomas Retailleau
Ingénieur géotechnicien,
direction nationale des projets Ginger CEBTP,
avec l’aimable autorisation du maître d’ouvrage, Sophia Antipolis Habitat, de publier cet article