FORAGE ALPIN À TRÈS HAUTE ALTITUDE
01/12/2019

FORAGE ALPIN À TRÈS HAUTE ALTITUDE








Dans le cadre du projet de réaménagement de l’arrivée du télésiège de l’aiguille des Grands-Montets, la société Silfra a accompli, courant octobre, un carottage exploratoire à
3 300 mètres d’altitude. Planification minutieuse, préparation
des équipes et des équipements pour un fonctionnement dans des conditions météorologiques contraignantes.
Portrait d’un chantier de haute montagne où l’hélicoptère est la seule ligne de vie vers la vallée.

La Compagnie du Mont-Blanc envisage la remise en état et le réaménagement complet de l’arrivée du télésiège de l’aiguille des Grands-Montets. La remontée mécanique du canal d’Argentière, aujourd’hui à l’arrêt, donne accès depuis Chamonix à une vue splendide sur la mer de Glace et les massifs environnants. Le projet d’y installer un restaurant d’altitude et des terrasses panoramiques reste toutefois conditionné à la portabilité des sols formant la crête rocheuse. Une étude géotechnique s’impose, que la Compagnie du Mont Blanc a confiée à la société Sage Ingénierie.

 

PROSPECTION SISMIQUE ET CAROTTAGE AU PROGRAMME


« Nous sommes en présence d’un éperon rocheux composé de glace et de roches très fragmentées formant un chaos en surface. Nous devons d’abord nous imprégner du terrain en place afin de définir le type et le dimensionnement des fondations qui pourront être exécutées et, partant, l’équipement pouvant y être construit », souligne Alexandre Mathy, ingénieur de Sage Ingénierie en charge de l’étude. Cette dernière intègre une campagne de sondages par « sismique réfraction » afin de déterminer l’homogénéité des terrains. Une première phase consistant à mesurer l’amplitude et la vitesse de transmission des ondes consécutive à un tir d’explosif en surface a été effectuée par les équipes de la société d’ingénierie sur 5 jours, courant septembre.
Dans un deuxième temps, un sondage destructif est effectué, au droit de la plateforme d’arrivée du télésiège. Le carottage sur 30 m de profondeur, commencé le 3 octobre dernier, a requis une préparation minutieuse de la part de la société Silfra Forages & Géotechnique à qui fut confiée son exécution dans un environnement hors du commun et potentiellement à haut risque.

VENT, NEIGE ET FROID


« J’ai une dizaine de chantiers héliportés en haute montagne à mon actif, mais jamais je n’avais foré à une telle altitude et aussi tardivement dans la saison. À 3 300 m, il faut vraiment prévoir tous les cas de figure pour ne pas être dépassé par les variations rapides de conditions de vent et l’arrivée de la neige ou du grand froid », s’enthousiasme Alain Cain, créateur et gérant de Silfra Forages & Géotechnique, qui a longuement cogité à la préparation de son chantier. Les sujets de réflexion sont nombreux, il est vrai, et ont d’abord trait à la sécurité de l’équipe de forage. En effet, comment assurer la sûreté des personnes alors que l’hélicoptère est l’unique moyen d’accès et d’évacuation ? Surtout quand on sait que les conditions météorologiques, éminemment variables en haute montagne, peuvent à tout moment empêcher le survol et encore plus l’atterrissage dudit hélicoptère sur la plateforme aménagée de 20 m x 6 m où s’effectue le forage. « Nous sommes en liaison avec le PGHM, le peloton de gendarmerie de haute montagne », répond Alain Cain. « En cas d’accident sur le site, celui-ci peut soit intervenir directement en hélicoptère si la météo l’autorise, soit faire une approche héliportée et organiser une caravane terrestre jusqu’au site. Parallèlement, j’ai choisi pour ce chantier deux personnes expérimentées (Benoît Cain et Adrien Cuzol, ndlr), rompues à la montagne et qui disposent, l’un, d’un brevet de secouriste du travail, l’autre, d’une formation de pompier. » En cas de tempête imminente, l’équipe peut d’ailleurs se replier dans le refuge mis à notre disposition par la Compagnie des Alpes. « Ils peuvent, en cas de besoin, s’abriter dans des conditions confortables puisque le local, auparavant utilisé par des agents d’entretien des pistes, dispose d’un groupe électrogène, et que nous avons prévu une cantine suffisante pour assurer de la nourriture pour dix jours », poursuit Alain Cain.

En temps normal, le gîte, équipé de chambres et d’une cuisine, héberge d’ailleurs chaque soir l’équipe, qui dort sur place pendant la durée du chantier.

 

UN SUPER PUMA POUR UN COLIS DE 2,8 TONNES

 

La logistique est une autre contrainte majeure du chantier. En l’absence d’autres moyens d’accès, hommes et équipements doivent être héliportés depuis la vallée. Une gageure alors qu’il s’agit de transporter un atelier de forage complet ! « Nous nous sommes approchés de la société EMCI, et avons opté pour une foreuse EMCI 700 version légère. Nous avions en effet besoin d’une machine puissante de 70 ch pour assurer le travail en dépit de la haute altitude. On perd près de
1 % de la puissance à chaque centaine de mètres de hauteur supplémentaire. Résultat, là où l’une
de nos machines de 45 ch est suffisante pour forer à Annemasse, par exemple, il faut prévoir une perte de 30 % d’oxygène et des machines qui ont tendance à peiner à 3 300 mètres d’altitude », précise Alain Cain. Afin de réduire le poids de la foreuse pour son héliportage en un seul colis, chenilles, pompe d’injection, cage de protection et un bloc de mors ont été démontés.
Ainsi, la machine atteint le poids de 2,8 t, une valeur limite pour l’hélicoptère Super Puma AS332C1
exploité par la société SAF (voir encadré). « Au niveau de la mer, cet hélicoptère peut emporter près
de 4,5 t. Mais à 3 300 m d’altitude, la charge maximale est atteinte avec la foreuse », intervient le gérant de Silfra Forages & Géotechnique. Un compresseur de 1,8 t, une cuve de GNR (gazole non routier) et un conteneur regroupant les équipements de forage (tubes, carottier, flexibles, etc.) sont les 3 autres colis emportés par le Super Puma, dont l’usage et le nombre de rotations sont ainsi réduits au maximum. Il est vrai que la mise à disposition de l’appareil est de 9 000 € de l’heure, et que chaque minute de vol est facturée 165 €. Mais le choix de constituer de lourdes charges de préférence à une multitude de palettes n’a pas que des raisons économiques, comme l’explique Alain Cain :

« Il est aussi important de diminuer le nombre de rotations d’hélicoptère afin de réduire le temps nécessaire à l’évacuation. Pas question de chercher sous la neige des palettes disséminées sur la plateforme. » En fin de journée, les équipements sont d’ailleurs mis au « repli ». Le mât de la foreuse est baissé et les béquilles déployées pour la surélever. « Si une tempête se déclenche durant la nuit, il faut qu’on puisse la dégager de la neige le plus aisément possible et qu’elle soit en position d’être héliportée. » De même, tubes et carottiers sont rangés dans leur conteneur chaque soir.

 

UN ÉCUREUIL POUR APPORTER L’EAU


Un hélicoptère Écureuil de type AS350 B3 assure l’approvisionnement du chantier en eau, d’abord nécessaire au forage. « Nous avons prévu de consommer près de 10 000 l d’eau durant la campagne. Mais il peut très bien qu’il en faille davantage. L’Écureuil AS350 B3 a une capacité de maximale de levage de 600 kg ; cela suppose donc de multiples rotations. Et là, nous sommes tributaires
de la météo », regrette Alain Cain. Dès le premier jour de forage, le vendredi 4 octobre 2019 au matin, les travaux ont dû être interrompus faute du précieux liquide ; une tempête de neige et de froid interdisait le vol de l’appareil jusqu’à 15 h. Les travaux ont pu reprendre jusqu’à la nuit et le samedi 5 octobre jour suivant dans des conditions de température difficiles.
« Avec le vent, la température ressentie descend très rapidement à - 15 °C, - 20 °C. Les hommes sont équipés de combinaisons de travail à haute protection thermique utilisées dans les pays nordiques. Parallèlement, nous avons pris plusieurs dispositions pour protéger les machines du froid. Les flexibles de la foreuse sont par exemple équipés de câbles électriques chauffants à déclenchement automatique lorsque la température descend au-dessous de 3 °C », relève le gérant de Silfra Forages
& Géotechnique. « Mais le plus important reste de protéger les machines la nuit, alors que la température chute : chaque soir nos deux coéquipiers les emballent dans des couvertures chauffantes
en aluminium », souligne Alain Cain qui se félicite, d’ailleurs, que le forage, en lui-même, n’ait pas posé de difficultés particulières.

 

GRANITE ET VEINES DE QUARTZ FAIBLEMENT FRACTURÉ


Le carottage se déroule dans un terrain de granite parsemé de veines de quartz et faiblement fracturé dans lequel la progression est assez régulière. Lundi 7 octobre, en fin de journée, les équipes avaient réalisé 7 m des 30 m prévus de forage en diamètre 116 millimètres - le plus petit des diamètres
de carottage autorisant une analyse en laboratoire.
Pour faciliter son « oxygénation » et la combustion, le boîtier de protection des filtres à air du moteur de la foreuse a été démonté. De même pour les tôles de protection du compresseur Atlas Copco XAS186 qui est chargé d’alimenter les outils pneumatiques prévus pour l’avant-trou.
Mercredi 9 octobre au soir, l’équipe de forage avait atteint les 21 m de profondeur, avant que le chantier ne soit interrompu consécutivement à une « tempête de froid ». Une fois réalisé, le
forage doit faire l’objet d’une inspection par caméra afin d’identifier et de mesurer, sur 360°, la présence de failles, suivi d’un équipement inclinométrique. « Nous avons programmé l’exécution de ce
chantier en une dizaine de jours, en tenant compte des aléas météorologiques. Nous sommes encore
dans les “clous” du planning. L’héliportage de retour en Super Puma est prévu mardi 15 octobre »,
détaille Alain Cain qui espère bien que ce chantier ouvrira la voie à de futures interventions en haute
montagne. Rendez-vous est déjà pris avec Sage Ingénierie pour un éventuel carottage complémentaire en haut du canal d’Argentière. Une campagne de sondages par panneaux électriques et un sondage destructif sont en effet déjà projetés par les deux partenaires afin que Sage Ingénierie
puisse rendre les conclusions de son étude géotechnique avant décembre.

 

Philippe Morelli