POURRONS-NOUS UN JOUR « PERCER » LE SECRET DE ROCHECHOUART ? - <p>Machine Hydrofore 1200 de 120 ch, conçue et réalisée dans les ateliers d’Hydrogéotechnique.</p>
19/04/2018

POURRONS-NOUS UN JOUR « PERCER » LE SECRET DE ROCHECHOUART ?


Extrait carte géologique 1/50 000 édition BRGM.

Exemples de carottage.
Cette machine utilisée pour ce chantiera été équipée d’un carottier à câblePQ sans qu’il soit nécessaire de faireappel à du télescopage en HQ.

Rochechouart, petite commune du Limousin, fait l’objet d’une attention soutenue de la part de la communauté scientifique internationale depuis fort longtemps, en raison de la particularité des roches qu’on rencontre sur son territoire et sur celui des communes avoisinantes. Ces roches sont tellement singulières (voire énigmatiques) que les avis des géologues et hommes de sciences qui se sont penchés sur elles ont différé, faisant même, parfois, le grand écart. Explications.

C’est ainsi que Nicolas Desmarest1 qui séjourna à Limoges entre 1762 et 1777 décrit ces roches en 1809 comme des « granites à bande » d’origine plutonique, tandis que Pierre Beaumesnil2, à peu près à la même période, envisageait qu’elles puissent correspondre à des tufs volcaniques. En 1833,
Guillaume Manès3 leur attribuera une origine volcanique, et, en 1858, Henri Coquand4 puis Louis Paul Urbain Le Verrier5 en 1901 pencheront plutôt pour une origine sédimentaire, tout en doutant de leurs propres hypothèses, tandis qu’en 1859 François Alluaud6 considérait qu’il s’agissait de brèches primitives d’origine pyrogène.
En 1910, Louis Glangeaud7 reprend l’hypothèse volcanique et, en 1937, François Kraut8 suggère une possible origine volcano-sédimentaire, mais sans être convaincu de ses propres hypothèses en raison de la structure des cristaux de quartz et feldspaths contenus dans ces roches.
Co-auteur de l’avant-dernière édition de la carte géologique de Rochechouart, parue en 1967, dans laquelle les brèches apparaissent encore d’origine volcanique et sédimentaire*, François Kraut reprendra ses observations de terrain et penchera alors pour l’origine impactite, en considérant que les verres relevés dans les brèches résulteraient de la fusion des roches frappées par une météorite. La certitude sur l’origine de ces roches singulières arrive en 1969, lorsque François Kraut, accompagné de Bevan French, spécialiste des impacts à la Nasa, découvre des cônes de percussion dans les affleurements et apporte ainsi une preuve que la région
a été affectée par un impact météoritique.
En 1972, Eugène Raguin9 confirme la découverte de l’astroblème, et Philippe Lambert10 publiera entre 1974 et 1982, un ensemble de travaux sur la géologie, la géochimie, la géophysique, l’âge de l’impact, ainsi que sur l’emprise et la nature des dommages causés par cet impact. En 1975, il découvre le « signal météoritique » à Rochechouart, à savoir la contamination des brèches par le projectile, faisant de Rochechouart le premier astroblème dont l’origine extraterrestre est incontestable.Forage d'eau / Géothermie


À partir de 2006, Philippe
Lambert publie de nouveau sur Rochechouart et appelle la

communauté scientifique internationale à étudier plus en détail cet impact comme analogue des
cratères d’impact sur la Lune, Mars et autres objets planétaires.
Hubert Reeves11 en visite en 2011 dans la Réserve naturelle nationale de l’astroblème de Rochechouart-Chassenon déclare alors : « Vous avez une pépite sous les pieds… Il est temps maintenant de l’explorer et de la faire connaître ! »
En 2013-2014, Philippe Lambert propose la réalisation de forages carottés dans la Réserve naturelle nationale de l’astroblème de Rochechouart-Chassenon, et l’installation à Rochechouart, d’un centre de recherche destiné à gérer et valoriser le patrimoine géologique. En 2016, le projet CIRIR (Centre international de la recherche sur les impacts et sur Rochechouart) est lancé par la POL (communauté de communes Porte Océane du Limousin »). En 2017, la POL, qui gère la Réserve pour le compte de l’État, lance la campagne de carottages confiée à la société Hydrogéotechnique, sous la conduite de Philippe Lambert.


Ces premiers sondages sur l’astroblème qui se sont déroulés entre le 4 septembre et le 18 décembre 2017 font partie d’un vaste programme de recherche dont le but est de reconstituer les caractéristiques du cratère à son origine, d’en définir les conditions de formation, de refroidissement, la composition du projectile, et, si possible, l’âge de l’épisode d’impact. Et pourquoi pas se servir des réponses apportées pour appréhender en quoi et comment ces phénomènes météoritiques peuvent jouer un rôle majeur dans l’émergence de la vie.
Aujourd’hui, le cratère résultant de l’impact de la ou des météorites est impossible à voir dans le paysage en raison de l’érosion, et pourtant il doit correspondre à l’un des 40 plus gros cratères au monde.
L’astroblème de Rochechouart- Chassenon, daté d’il y a 206 millions d’années environ, peu avant la limite entre le Trias et le Jurassique, s’est écrasé sur la Terre à une vitesse comprise entre 11 et
70 km/s.
Le cratère qui s’est formé devait faire a minima 20 km de diamètre, voire plus. L’énergie et la chaleur libérées par l’impact furent énormes au point qu’aucun fragment de la météorite n’a subsisté et que tout s’est « vaporisé » et dispersé dans les produits de fusion, puis disséminé dans toutes les roches, entraînant des anomalies en fer, nickel, chrome… et générant différents types de brèches (polygéniques, monogéniques de dislocation et hydrothermales), voire des roches vitrifiées.
Les conséquences de cet impact sont également visibles dans les minéraux puisque les cristaux de quartz sont choqués et que les « cônes de percussion »,
développés en raison de l’onde de choc, sont observables dans les roches compactes et homogènes du socle. Compte tenu de la diversité des roches et de leur répartition aujourd’hui diffuse en raison de l’érosion qui a dû laisser au maximum 80 à 100 m de terrain impacté par la météorite avant de rencontrer le socle, le programme de sondage prévoyait la réalisation de carottages, d’une profondeur comprise entre 10 et 120 m, répartis sur 8 sites distincts et au droit desquels les impactites étaient sub- affleurantes.
Outre les contraintes de mise en place, les emplacements mêmes des sondages au sein d’une réserve naturelle qui ont contraint l’équipe à installer un système de récupération et de filtration des boues de forage, une inconnue résidait dans la technique de carottage

 

RENCONTRE AVEC PHILIPPE LAMBERT QUI NOUS LIVRE SON EXPÉRIENCE

« J’ai commencé à travailler sur la région de Rochechouart en septembre 1972. Pendant la campagne
de forage, le 13 octobre 2017, on fêtait le 40e anniversaire de la soutenance de ma thèse
d’État, consacrée à l’étude de notre astroblème et aux effets de choc associés. Aujourd’hui, notre
programme de forage est une grande réussite tant sur le plan technique, qu’économique et
scientifique. Ce succès tient d’une part à la qualité et à la richesse de notre patrimoine géologique ;
mais il tient aussi au savoir-faire et à la persévérance de tous ceux qui ont participé, depuis le personnel de la Réserve, aux opérateurs sur la foreuse, en passant par les
services de gestion, tant du côté de la communauté de commune (POL) que d’Hydrogéotechnique.
L’enjeu est d’instituer le site de l’astroblème comme un laboratoire
naturel au bénéfice de la recherche nationale et internationale.
C’est bien parti. Les premiers résultats sont à la hauteur de nos ambitions. On commence à parler
de nous. Nous allons continuer et transmettre, et ce faisant, susciter
des vocations et faire rêver… » à adopter dans ce type de roches jamais forées jusqu’alors
à ces profondeurs, sans aucunes données sur la dureté et l’état de la fracturation.
C’est une machine Hydrofore 1200 de 120 ch, conçue et réalisée dans les ateliers d’Hydrogéotechnique, qui a été utilisée pour ce chantier, équipée d’un carottier à câble PQ.
Dans l’ensemble, la roche bréchique polygénique a été facile à carotter avec des cadences de forages ayant permis d’atteindre 6 m/h. Par contre, lors des passages vitrifiés ou au sein des formations
métamorphiques, au contact entre le fond de cratère et le socle, les avancements étaient beaucoup
plus réduits. Globalement, la cadence a permis de réaliser 13 m/jour. Au final, la roche était
peu fracturée, assez facile à carotter et la gestion de l’eau de carottage s’est avérée conforme aux attentes de l’entreprise. L’équipe de sondeurs mobilisée sur ce chantier a dû trouver un fin équilibre entre vitesse d’avancement et pression sur l’outil, tout en réglant la quantité d’eau injectée pour garantir un prélèvement de qualité. Aujourd’hui les carottes sont à la disposition de la communauté scientifique internationale, et peutêtre qu’avec leur analyse obtiendrons- nous quelques réponses à bon nombre de questions sur le mystère de l’astroblème de Rochechouart-Chasseron.