GRAND PARIS EXPRESS : LE GRAND RENDEZ-VOUS DE LA GÉOTECHNIQUE - <p>ERG a monté ses équipements sur barge afin de reconnaître les fondations de l’ancien pont de Sèvres.</p>
01/11/2016

GRAND PARIS EXPRESS : LE GRAND RENDEZ-VOUS DE LA GÉOTECHNIQUE


Carottage à Créteil avec pose d’un équipement piézométriqueà 37 mètres de profondeur.
Les sondages se déroulent souvent dansl’immédiate proximité des habitations.
Sondage ERG dans le parc de Saint-Cloud.
Sondages au cimetière de Bagneux.
Les équipesde Ginger CEBTPont réalisé jusqu’à22 foragessimultanémentpour le chantierdu Grand ParisExpress.
La foreuse Beretta a dû être intégralement démontée pour passer la trappe d’accès à la gare « fantôme » de La Défense, une gare souterraine inutilisée qui doit prendre du service avec le Grand Paris Express.
Sondages dans les rues de Cachan.

Le projet pharaonique est d’abord le terrain d’expression des géotechniciens : sondages, mesures, essais, caractérisations mécaniques et chimiques, élaboration des synthèses géotechniques, ils sont en première ligne sur tous les fronts. La profession, grandement représentée au sein du bureau géotechnique de SYNTEC INGENIERIE, s’est d’ailleurs mobilisée comme jamais peut-être auparavant pour relever les défis de ce qui s’affirme comme le plus grand chantier géotechnique mené en France.

Le Grand Paris Express est sans doute le projet du siècle. Imaginez ! Il s’agit ni plus ni moins que d’impulser un nouvel urbanisme pour la première région française, en s’appuyant sur un réseau de transport performant desservant Paris, mais aussi la proche banlieue, et certains pôles prioritaires du développement régional. Le Grand Paris Express n’est rien de moins que le chaînon manquant d’un réseau ferroviaire qui, majoritairement, arrive et part de Paris.
Le futur métro automatique adopte une logique de boucles.
La première (la ligne 15) déborde au près les limites de la ville de Paris, telle qu’elle est actuellement définie, pour relier La Défense à Saint-Denis, Rosny-Sous-Bois, Champigny, Villejuif et au pont de Sèvres, avant de refermer la boucle jusqu’à La Défense. Deux autres boucles, plus éloignées, développent le tracé en « grande banlieue », au nord et à l’est, ainsi qu’au sud et à l’ouest. Ces deux boucles intègrent les aéroports de Roissy (ligne 17) et d’Orly (ligne 14), ou les villes de Sevran, Noisy-le-Grand (ligne 16), d’un côté, et Orsay ou Versailles (ligne 18), de l’autre. Et ce ne sont que quelques exemples des communes concernées. Les 200 kilomètres de voies nouvelles – créées en souterrain à près de 85 % – seront desservis par 68 nouvelles gares, elles aussi essentiellement enterrées.

 

ÉTUDES ET TRAVAUX MENÉS DE CONCERT


Le Grand Paris Express ne se construira pas en un jour. La mise en service de la totalité des tronçons est prévue à l’horizon 2030. L’échéance semble ambitieuse au vu de l’importance du projet et de son état d’avancement : les procédures préliminaires s’achèvent tout juste. Début septembre, lors d’une conférence de presse, Philippe Yvin, président de la Société du Grand Paris (SGP), chargée de la concrétisation du Grand Paris Express, annonçait que le cycle des enquêtes publiques avait pris fin en juin 2016. Au printemps 2017, ce sera au tour des déclarations d’utilité publique (DUP) d’être toutes bouclées.
En parallèle, les chantiers débutent. Les premiers travaux préparatoires sont lancés, notamment pour les terrassements préliminaires et la déviation des réseaux. Pour ce qui est du génie civil, la ligne 15 sud mène la course en tête. « D’ici juin 2017, 14 de ses 16 gares et 20 de ses 38 ouvrages annexes seront en chantier », poursuit Philippe Yvin.
Côté études, l’avancement est très variable d’une ligne à l’autre. Il est vrai que les derniers marchés d’investigations géotechniques viennent tout juste d’être attribués (voir 1er encadré). Il en résulte que certaines lignes sont beaucoup plus avancées dans leur définition que d’autres. « On compte trois phases d’étude de conception : l’avant-projet A, l’avant-projet B, plus précis, et le Pro qui finalise le projet et qui servira de base pour le dossier de consultation des entreprises en vue de l’exécution des travaux. La ligne 18, Orly – Versailles, en est ainsi au stade de l’avant-projet A, tandis que pour la ligne 16 Est, plus avancée, on en est au stade Pro », explique Jacques Robert, Risk
Manager chez Arcadis, qui fut le premier assistant du maître d’ouvrage pour la géotechnique dès l’origine du projet.
« Certaines échéances proches interdisent parfois tout décalage. Ainsi, le ripage d’un ouvrage ferroviaire programmé pour août 2017, a dicté la cadence de réalisation de la gare Fort d’Issy-Vanves-
Clamart, sur la ligne 15 sud-ouest », souligne Hervé le Bissonnais, directeur général délégué de Terrasol.
En l’occurrence chargé de la géotechnique au sein du groupement de maîtrise d’oeuvre Setec/
Ingérop, Terrasol intervient, selon les lots, en tant qu’assistant maîtrise d’ouvrage (AMO) en géotechnique, maître d’oeuvre (aux côtés de Setec TPI), ou encore bureau d’études.

 

LE PLUS GRAND CHANTIER GÉOTECHNIQUE EN COURS


« Le Grand Paris Express est le plus grand projet géotechnique mené en France actuellement, devant celui de l’Andra, d’enfouissement des déchets radioactifs à Bure », estime Éric Antoinet, ingénieur
Antea, assistant maître d’ouvrage géotechnique. « De plus, ses gares et le tracé de ses lignes se développent à grande profondeur, car il faut tenir compte des réseaux existants. On a d’abord construit les égouts à faible profondeur, puis les lignes de métro, puis les RER, puis les nouvelles lignes de métro, toujours plus profondément. Le Grand Paris Express arrive en dernier. » Des profondeurs où les retours d’expériences sont plus rares, et dont les horizons géologiques sont moins bien connus.

Et les ennemis naturels de ce type de travaux sont nombreux. Le gypse, par exemple, que l’on trouve surtout au nord et à l’est du tracé, est redoutable. D’abord parce qu’il est soluble dans l’eau, ensuite parce qu’il est à l’origine de l’alcali-réaction, qui altère et peut affecter la résistance des bétons. L’argile, dont on trouve des traces partout à l’exception du nord, n’est guère plus favorable. Il complique largement le creusement, et, surtout, le dimensionnement des ouvrages. Il peut aussi être hydrophile et perturber les travaux par son gonflement. Tout aussi globalement, la présence de nappes d’eau modifie également du tout au tout l’approche constructive.
Pourtant, le Grand Paris Express n’échappe pas à la règle qui veut qu’un tracé s’affranchisse le plus possible des problèmes géotechniques. Ainsi : « Au niveau du plateau de Vanves–Bagneux–Arcueil, la ligne 15 sud rencontrait sur 6 kilomètres des carrières de calcaires grossiers – qui ont construit Paris au XIXe siècle. Après investigations et études approfondies, la décision a été prise de passer en dessous de ces carrières. Avec pour conséquence d’enterrer encore plus profondément ligne et gares sur cette section », précise Hervé Le Bissonnais.

 

UNE MOBILISATION À LA HAUTEUR DES ENJEUX

 

Les sommes en jeu sont conséquentes. Le budget d’études et d’investigations géotechniques
« se chiffre en centaines de millions d’euros », estime Jacques
Robert, Risk Manager Arcadis. Les seuls sondages et mesures ont sensiblement dépassé 100 millions d’euros sur la période mi-2012 – mi-2016.
Le nombre de sondages dépasse aussi les chiffres habituels. Selon les estimations, plus de 4 000 unités auraient déjà été réalisées. Ginger CEBTP, chargée des investigations géologiques sur des tronçons des lignes 16 et 17, a déjà, à elle seule, effectué 1 000 sondages en quatre ans pour une longueur cumulée de 50 000 mètres !

Face à un chantier d’une telle ampleur, la mobilisation des entreprises nationales est importante.
Les plus grandes et aussi de plus petites, telles qu’ERG, mandataire, et Fondouest qui ont groupé leurs moyens pour obtenir l’adjudication de lots sur la ligne 15 sud, ainsi que sur les lignes 16 est et 17 nordest. « Participer à ce chantier nous a tous hissés vers le haut », déclare François Mayeux, président d’ERG. « Sans cette union, nous n’aurions pu aligner les hommes et les machines nécessaires », reconnaît Gérard Baudry, président de Fondouest. D’autres ont mis en place une structure particulière, comme Ginger CEBTP qui a monté sa « base PME » employant 50 personnes à Villepinte (Seine- Saint-Denis), ou Fondasol qui a choisi Gennevilliers. « Nous y avons installé une agence indépendante du siège d’Argenteuil. Le travail ne manque pas, ne serait-ce qu’avec les contrats SGP obtenus sur la ligne 15 ouest, la ligne 18 sud, et, plus récemment, sur la ligne 15 sud.
Toutefois, le défi demeure de faire vivre la structure sur le long terme », indique Nicolas Rodriguez, directeur de l’agence Fondasol Grand Paris.

 

UN DÉPLOIEMENT DE TECHNIQUES HORS DU COMMUN

 

Les travaux de reconnaissances géotechniques ont sans doute mis en oeuvre la totalité des techniques d’acquisition de données. La mission de sondages et mesures de Fugro Géoconsulting SAS sur le lot de la ligne 15 sud donne, à elle seule, un bon aperçu de cette diversité. Forages destructifs avec essais au dilatomètre, mesure de radioactivité naturelle (RAN), crosshole, carottage, essais pressiométriques à 80 bars, essais d’eau type Lefranc et Lugeon, mise en place de piézomètres avec suivi mensuel du niveau d’eau, réalisation de puits de pompage pour caractérisation de la nappe, pénétromètre statique simple ou, et c’est plus rare en France, accompagné de mesure de la pression interstitielle. « Plus développée dans les pays anglo-saxons, cette technique d’acquisition requiert des machines développant une plus forte poussée pour mesurer la pression de l’eau dans les interstices de la roche », explique Eric Dissler, directeur commercial de Fugro Terrestre et Littoral. Le groupe Géotec va lui aussi recourir à une technique peu courante, et à grande échelle ! Sur la ligne 14 sud, il a réalisé près de 1 000 essais pressiométriques cycliques qui permettent de déterminer la déformabilité des terrains avec une plus grande précision que les essais pressiométriques simples.

« Nous suivons également trois puits : Boulogne-Billancourt, Saint- Maur et Aulnay-sous-Bois. Sur ce dernier, dont le terrassement débute tout juste, le puits vertical est prolongé par deux rameaux horizontaux consolidés, respectivement, par jet grouting et congélation des sols. L’instrumentation (inclinomètre-tassomètre, inclinomètres horizontaux, pressiomètre, extensomètre, et contrôle des températures) et son analyse devront permettre de départager les deux techniques », explique
Olivier Barnoud, directeur général du groupe Géotec.
De manière plus générale, la profondeur des ouvrages est telle que les sondeurs sont conduits à forer fréquemment sur près d’une centaine de mètres. Voire plus profondément, comme c’est le cas à la gare du Kremlin-Bicêtre, sur la ligne 14 sud, où les carottages, réalisés par Geotec, atteignent 110 mètres.

 

UNE CARACTÉRISATION MÉCANIQUE ET CHIMIQUE


Comme il se doit, les données et échantillons recueillis sur le terrain font l’objet de tests en laboratoire. Objectif : déterminer la granulométrie, la nature et les caractéristiques mécaniques des sols afin de
pouvoir établir des coupes de terrain et dimensionner les ouvrages. La caractérisation mécanique des sols s’accompagne dans certains cas d’une caractérisation chimique, au droit des gares en particulier. Là, il s’agit d’identifier la présence de « poches » de pollution qui sont le plus souvent situées à de faibles profondeurs.
L’enjeu est d’importance, car le traitement des terrains peut renchérir considérablement le coût des travaux. Même lorsqu’il s’agit d’une pollution naturelle, comme ce fut le cas avec l’antimoine sur le métro de Rennes.
Parallèlement, la caractérisation est déterminante pour l’affectation de l’énorme masse des
déblais de chantier. Au total, ce sont plus de 20 millions m3 de matériaux qui seront générés par le creusement des tunnels et la construction des gares. Quelle proportion devra être mise en décharge ou au contraire valorisée dans les couches de remblais, ou, mieux, dans la fabrication de
béton ?
« Compte tenu de la nature des sols rencontrés, on ne pourra valoriser qu’une faible part des déblais. Sans doute pas plus de 20 %, pour donner un ordre de grandeur », conclut Jacques Robert, également président du bureau géotechnique de Syntec-Ingénierie.

 

Philippe Morelli