LA RECHERCHE S'APPLIQUE SUR LA LIGNE 16 - <p>Les structures métalliques imposantes simulent<br />des immeubles à fondations profondes.</p>
03/11/2020

LA RECHERCHE S'APPLIQUE SUR LA LIGNE 16


L’acquisition et le traitement des donnéesde la fibre optique passent par le systèmeFibristerre.
Les sols sont instrumentés pardes cibles, des extensomètreset des accéléromètres.
Un vérin hydraulique exerce une pression de 210 t sur le pieu.
Les pieux sont instrumentés de multiplescapteurs et de fibre optique.

La Société du Grand Paris finance une opération de recherche visant à mieux connaître l’incidence du
creusement par tunnelier à pression de terre sur les terrains et les pieux de fondation des immeubles. En juillet, un test mené en vraie grandeur, à Aulnay-sous-Bois, sur la ligne 16, a permis d’acquérir les mesures qui serviront de base à la construction d’un modèle numérique utile aux chantiers du GPE, et au-delà.

L’École nationale des travaux publics de l’État (ENTPE), le Centre d’études des tunnels (CETU), l’Université Gustave-Eiffel (UGE anciennement IFSTTAR, et la Société du Grand Paris se sont associés dans le cadre d’un projet de recherche dédié à l’incidence des travaux souterrains sur les fondations profondes des ouvrages, et incluant notamment la réalisation d’une expérimentation en
vraie grandeur, nommée projet TULIP (Tunneliers et Limitation des Impacts sur les Pieux).
Bien que des avancées aient été réalisées ces dernières décennies sur cette problématique et malgré les nombreux sondages effectués, la prévision de l’impact du creusement au tunnelier sur les fondations profondes reste complexe et peut être améliorée et optimisée. C’est l’objectif de ce projet, dont l’origine remonte à octobre 2017. « Le temps de l’expérimentation en vraie grandeur devait coïncider avec le passage d’un tunnelier. Le “tir” du tunnelier Armelle à partir du puits de lancement Georges-Braque de la ligne 16 coïncidait avec le délai de mise en place de notre test.
L’emplacement choisi à Aulnay-sous-Bois présentait par ailleurs une structure géologique représentative de ce que nous sommes amenés à rencontrer sur le tracé des différentes lignes du GPE, à savoir : des remblais, des calcaires de Saint-Ouen, des sables de Beauchamp et des marnes et caillasses. Bien sûr, on trouve aussi ce type de sol sur la ligne 15 sud, plus avancée, mais la densité
urbaine y est telle que nous ne pouvions disposer des surfaces suffisantes pour mener notre test en vraie grandeur », comme en témoigne Charles Kreziak, référent génie civil de la SGP pour la ligne 16.

 

UNE EXPÉRIMENTATION RARE


Le projet TULIP comprend la réalisation de 3 pieux de 500 mm de diamètre : le 1er est foré jusqu’à l’axe du tunnel de la ligne 16, soit à près de 21 m de profondeur – en étant décalé latéralement ;
lui aussi décalé de la même distance, le 2e est foré un peu au-dessus de la clé du tunnel, soit à une profondeur proche de 15 m ; le 3e, long de 15 m, est foré au droit de l’axe du tunnelier – qui passera
juste en dessous ! Pieux et terrain sont instrumentés de façon à pouvoir effectuer le suivi des champs de déplacements et déterminer les contraintes dans les pieux et le terrain au cours du passage du tunnelier.
« Une telle expérimentation est une première en France, et est rare à l’international », s’accorde à dire l’équipe de scientifiques, réunie sur le site début juillet par la SGP pour présenter TULIP. Les chercheurs évoquent deux tests effectués en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas. Tous deux menés alors que le tunnelier traversait des couches d’argiles, et non des sables et marnes comme à Aulnay-sous-Bois. « La technologie du tunnelier n’est pas non plus toujours comparable dans les expérimentations étrangères antérieures. Il peut y avoir des différences d’impacts entre un tunnelier à pression de boue et un tunnelier à pression de terre comme ceux utilisés sur les chantiers du GPE, le tunnelier Armelle compris évidemment », poursuit Fabien Szymkiewicz, chercheur au sein de l’Université Gustave-Eiffel et directeur adjoint du laboratoire SRO.
« Notre expérimentation est aussi remarquable par ses dimensions », ajoute Charles Kreziak.

« L’installation de 3 structures métalliques de chargement et la réalisation des 3 pieux – d’ailleurs
instrumentés de façon très complète – représentent un investissement conséquent ». En effet, cette expérimentation a bénéficié de l’engagement financier de la Société du Grand Paris à hauteur de

1 M€. La réalisation des pieux expérimentaux et la constitution des massifs de chargement s’intègrent
dans les travaux du lot 1 de la ligne 16.
Le projet TULIP s’inscrit d’ailleurs dans le souhait de la SGP de faire du GPE une terre propice au développement de la recherche (voir encadré p.36).

 

INSTRUMENTATION DES TERRES ET DES PIEUX


L’acquisition des données, dont la mise au point intellectuelle a maturé 2 ans, s’est matérialisée avec la mise en charge des pieux, en février 2020. Depuis cette date, chaque pieu reçoit une charge de

210 t simulant la descente de charge « classique » d’un bâtiment sur un pieu de 500 mm de diamètre. Un vérin prenant appui sur la structure métallique exerce ces 210 t de manière précise et constante.

« Avant de mesurer les effets du passage du tunnelier, il est important de disposer de données d’origine fiables et complètes, d’un “point 0” de comparaison pour les terrains comme pour les pieux », souligne le référent génie civil de la SGP pour la ligne 16.
Ainsi, le terrain alentour a été « lardé » de cibles permettant à des théodolites de vérifier les mouvements horizontaux et verticaux en surface.
Des extensomètres mesurent les déformations du terrain en profondeur. Des boîtiers « MEM’S » mesurent quant à eux les accélérations dans les trois axes X, Y et Z.

L’instrumentation concerne aussi les pieux. Elle comporte également des accéléromètres qui permettent de calculer le niveau de vibration au passage du tunnelier. La mesure des déformations
dans les pieux se fait, pour sa part, au moyen de deux techniques. La première consiste au déploiement de 500 m cumulés de câbles de fibre optique. En fait, sur les armatures de chaque pieu,
est fixée une double boucle de câbles de fibres optiques. « Encore peu appliquée et assez onéreuse, cette technique permet une acquisition de mesures plus dense. Mais elle est aussi plus sensible
aux chocs, et plus susceptible d’être dégradée du fait de la fragilité des câbles. Par sécurité, nous avons donc choisi d’équiper en appoint les pieux de capteurs à cordes vibrantes, certes plus rustiques, mais aussi plus éprouvés », relève Fabien Szymkiewicz.

 

VERS L’ÉLABORATION D’UN MODÈLE NUMÉRIQUE PLUS FIN

 

Le jeudi 2 juillet, le tunnelier Armelle a franchi la barrière d’enceinte du chantier TULIP, à une vitesse de l’ordre de 10 m par jour (vitesse de reprise après une période d’arrêt). Près d’une semaine durant, les chercheurs ont enregistré les effets immédiats de son passage sur le terrain et les pieux. L’acquisition de données devait être menée deux à trois semaines de plus afin de mesurer l’incidence du creusement a posteriori. « Ensuite doivent commencer la période de traitement des données brutes et le travail de calcul, qui devraient aboutir à la présentation de deux thèses en 2022, et l’établissement d’un modèle numérique plus fin par rapport aux modèles existants en utilisant les logiciels Flac (pour l’ENTPE et le CETU) et le logiciel CESAR-LCPC (développé et commercialisé
par l’université Gustave-Eiffel) », indique Fabien Szymkiewicz. « L’idée est de développer un modèle qui permette de mieux prévoir les répercussions du passage d’un tunnelier passant dans
les sables, mais aussi d’en déduire les effets dans des sols d’autre nature », conclut Agathe Michalski, qui conduit son doctorat sous la direction de Nicolas Berthoz, enseignant-chercheur au CETU.


Philippe Morelli