HISTOIRE LOCALE, COUTUMES ET GÉOTECHNIQUE - <p>Lieu de prélèvement<br />de remblai initialement<br />prévu par le client.<br />Sable fin blanc sans<br />cohésion.</p>
01/04/2019

HISTOIRE LOCALE, COUTUMES ET GÉOTECHNIQUE


Situation du projet au Gabon – Région de la basse Nyanga.
Trajet réalisé depuis Libreville pour atteindre le site du projet.
Sur le chemin d’accès menant au site du projet.
Anciens des villages des berges de la Nyanga sur le site du projet lors de laréalisation du premier rituel aux ancêtres.
Informations et conclusions hydrogéologiques dans le secteur du projet.

La géologie et, par conséquent, la géotechnique sont intimement liées au pays, à la région, au lieu. Chaque région a ses spécificités liées à son histoire naturelle et à l’évolution des aménagements réalisés par l’homme. Outre sa situation géographique, une région se définit par sa population, ses coutumes, ses moeurs… par son histoire, en somme.

À partir de ces deux postulats, il est remarquable de voir que l’homme est au centre de notre domaine par son action sur l’environnement, et son appropriation de l’espace qui lui est donné. Il est donc nécessaire de remettre l’homme au coeur de notre métier. Cet article prendra corps dans le cadre d’une étude menée par Ginger CEBTP, consistant en l’aménagement d’une piste d’accès à une plateforme de forage pétrolier au Gabon.

 

HABITUDES FRANÇAISES


Avant d’entrer dans le coeur de cette mission, il serait utile de faire un point sur nos habitudes bien
françaises en matière d’étude géologique et géotechnique.
En France, dès les prémices d’une étude, nous avons accès à une quantité d’informations non négligeables qui nous permettent de cibler et guider les méthodes constructives en fonction des
besoins des clients. De manière non exhaustive, voici une liste d’informations numérisées accessibles
en un ou plusieurs clics :

  • site « Info Terre » du Bureau de recherches géologiques et minières :
    • accès aux cartes géologiques et notices ;
    • accès à des données ponctuelles de forages numérisées ;
    • accès à la base BSS ;
    • accès à la cartographie des risques naturels ;
  • site « Géorisques » du ministère de la Transition écologique et solidaire :
    • accès aux récurrences d’évènements géologiques majeurs (inondations, glissements de terrain, etc.) ;
    • accès aux plans de prévention des risques.

Malgré le nombre de données disponibles, nous cherchons à améliorer notre connaissance par la réalisation de campagnes d’investigations préliminaires, complémentaires, de phase chantier et
de contrôle. Sommes-nous devenus trop exigeants sur la pertinence d’une information ou sur la quantité nécessaire pour mener à bien une mission ? Peut-être… Il m’est surtout d’avis que nous nous adaptons à notre environnement, et surtout aux hommes que nous avons en face de nous.
Il est temps de développer le cas inverse et de sortir de notre zone de confort. Comment déterminer des hypothèses géologiques et géotechniques quand on ne possède aucune information initiale et aucune possibilité de sondage ? Nous allons aborder l’exemple d’une étude réalisée au Gabon.

 

SITUATION DU SITE ET ÉTAT DES LIEUX DES INFORMATIONS DISPONIBLES


La région concernée par les aménagements du projet se situe au sud du Gabon, dans la région de la basse Nyanga, à une vingtaine de kilomètres de la ville de Gamba.
Au droit du site, la végétation se compose principalement de forêts primaires et de zones marécageuses, avec de nombreux passages de cours d’eau. La région est notamment traversée du nord-est au sud-ouest par le fleuve Nyanga, deuxième plus grand fleuve du Gabon. Ce sont là les seules informations disponibles au début du projet. Il a été dès lors nécessaire d’aller sur site pour étoffer notre vision de la région et développer une campagne de reconnaissances cohérente par rapport au site à investiguer.
Pour comprendre les problématiques du projet, il est important de situer le site et son accès depuis la capitale, Libreville. Au total, une journée de voiture, trois heures de pirogue et cinq kilomètres de marche !
La visite sur site montre très rapidement que l’accès à une machine de reconnaissances sera compliqué. Dès lors, il est nécessaire de réfléchir à des moyens indirects afin d’obtenir les informations nécessaires pour le dimensionnement des aménagements de la région. Ainsi, une enquête de terrain devient incontournable.

 

NIVEAUX D’EAU ET CONNAISSANCES DES ANCIENS


Comme les photographies précédentes le montrent, la région est parcourue par de nombreux petits rus créant une grande zone marécageuse en bordure du site à investiguer. En exploitation,
l’accès au site sera réalisé à partir d’une route sur remblai, et il sera donc nécessaire de connaître les niveaux d’eau à chaque saison (saison des pluies et saison sèche) et les différents cours d’eau à
rétablir tout le long du tracé.
En contact avec les locaux, nous avons récolté les informations et l’histoire locale, nous permettant d’élaborer des niveaux des plus hautes eaux qualitatifs.

De plus, les habitants du secteur nous ont annoncé qu’au cours de la saison des pluies, ils étaient en capacité de passer en pirogue au droit du futur site du forage d’exploration, ce qui indiquerait un niveau d’eau pouvant monter de plus de 1 m par rapport au terrain naturel au droit du projet.
Outre ces informations tirées de l’historique du lieu, quelques observations locales nous ont permis de déterminer un système hydrogéologique régional :

  • présence d’une source résurgente au village, une vingtaine de mètres au-dessus du niveau de la rivière ;
  • dépôts sédimentaires de couleurs variables (blanc/beige ou noir/gris) lors de l’avancée vers le futur point de forage.

 

RECONNAISSANCES GÉOTECHNIQUES ET COUTUMES LOCALES


Malgré des aléas d’accès et de planning, l’accès d’une machine de forage de type Fordia 220 MPR démontable a été rendu possible par voie aérienne (héliportage). Cependant, un accès sur site ne garantit pas de pouvoir commencer les reconnaissances. Les coutumes locales veulent que les anciens soient informés sous la forme d’un rituel. Ce sont des éléments nécessaires à prendre en compte quand on envisage de réaliser un chantier dans des secteurs où la spiritualité est forte au sein de la communauté locale.
Une fois les coutumes respectées, les investigations peuvent commencer. Mais celles-ci se heurtent une fois de plus à un problème : la complexité géologique du site ainsi que la puissance réduite d’une machine démontable ne permettent de récupérer que des bribes d’informations sur le sous-sol. Arrivée à ce stade, l’ingénieur comprend rapidement que monter un modèle de sol va être compliqué, et qu’ainsi chaque petite information va être essentielle dans ce processus. La présence sur site devient cruciale, car la vision du géotechnicien peut l’amener à faire varier son idée du sous-sol par l’observation de certains éléments qui n’apparaissent pas forcément dans les rapports de type G1 reprenant les reconnaissances réalisées. Voici une liste non exhaustive des éléments nous ayant permis de détacher un modèle géologique par de simples observations sur site.
Des éléments complémentaires viennent ajouter des points supplémentaires à un modèle géologique primaire :

  • état des berges de rivières environnant le projet ;
  • analyse de données sur des ouvrages de la région ;
  • développement d’une connaissance géographique locale par l’apport des communautés ;
  • etc.

Une fois la stratigraphie définie, le modèle géotechnique peut se monter par analogie avec des formations similaires, en prenant en considération les différences d’environnement et l’évolutivité des sols en milieu tropical. Pour exemple, nous avons rencontré une couche de tourbe à 3,2 m d’épaisseur. Aucune information n’a pu être obtenue par les reconnaissances du site. Nous avons donc défini les paramètres mécaniques (de compressibilité, entre autres) par analogie avec des formations tourbeuses connues et maîtrisées.

 

TOUCHER LE TERRAIN ET LE COMPRENDRE


Le besoin en remblai d’apport avait été identifié dès le départ, pour permettre de traverser la zone marécageuse. Un matériau avait déjà été pressenti, car facilement accessible sur les berges de la rivière Nyanga. Un passage rapide au droit du futur lieu de prélèvement, lors de notre séjour sur site, nous a permis de remettre en cause, sans essai préalable, la possibilité de réutiliser ce matériau.
Celui-ci se composait d’un sable blanc à la granulométrie très resserrée. Les berges de la rivière composées de cette formation avaient sur toute la longueur une pente moyenne de 30°, indiquant une absence totale de cohésion. Cette visite du site d’extraction a permis de rediriger le choix du client vers un matériau moins accessible, mais aux caractéristiques favorables pour une réutilisation en remblai routier.

 

FIN D’UN VOYAGE


7 semaines passées sur les berges de la Nyanga, logés dans le village d’Igotchi, ont permis de faire des rencontres humaines riches d’enseignements. Et techniquement… une prise de conscience. L’état d’esprit, dans les pays occidentaux, reste basé sur un système de consommation : on ne répare pas, on remplace ; on ne réutilise pas, on refait. Nous avons pris conscience qu’il est nécessaire de recycler le plastique, le verre… Mais pareille réflexion est très peu appliquée dans notre profession.
La réutilisation des données géologiques et géotechniques est un enjeu majeur. Les coûts des projets se réduisent et les délais se raccourcissent. La réalisation systématique de reconnaissances à chaque phase d’un projet impose des coûts/délais importants que tous demandent à réduire. Si chaque donnée récoltée depuis le début des reconnaissances géotechniques était accessible, nous pourrions déjà au stade d’avant-projet avoir une idée précise des terrains, des caractéristiques et risques associés.
Il est nécessaire que la géotechnique emboîte le pas du numérique, et l’arrivée des big data permettra sûrement, dans les prochaines années, de mieux valoriser les données existantes.

 

Thomas Rousseau, ingénieur géologue et géotechnicien,

direction nationale des projets Ginger CEBTP