06/06/2019

LA LOI ELAN IMPOSE LA GÉOTECHNIQUE


La nouvelle loi sur le logement, dite loi Elan, a dans son collimateur les risques relatifs aux effets du retrait gonflement des sols lié à la présence d’argile. Elle impose des études géotechniques et les mesures constructives adaptées qui devraient favoriser une réduction significative de la sinistralité causée par ce risque.

Promulguée le 27 novembre 2018, la loi Elan (Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) poursuit des objectifs multiples dans les domaines de l’aménagement, de l’urbanisme et de l’environnement dans le cadre duquel elle tente d’innover et de simplifier les procédures. Nombre de dispositions de la loi emporteront également des incidences sur les règles et les normes de construction.
Les acteurs de la géotechnique seront plus particulièrement impactés par l’article 68 de la loi Elan ; celui-ci traite des dispositions spécifiques visant à maîtriser les risques liés aux effets du retrait gonflement des sols argileux.
LE RISQUE RETRAIT GONFLEMENT
À l’horizon 2040, les sinistres relatifs à ce risque pourraient représenter une part de 25 % des dossiers indemnisés au titre d’un arrêté catastrophe naturelle (16 % en 2019). Actuellement, cette pathologie représente la première cause d’indemnisation au titre de l’assurance de la maison individuelle : ces ouvrages sont particulièrement exposés à cette problématique en raison de leur structure légère, peu rigide et fondée superficiellement.
C’est ainsi qu’en complément de la révision du DTU 13.11 relatif aux fondations superficielles la loi Elan introduit une sous-section dans le Code de la construction, consacrée à la prévention des risques relatifs au retrait gonflement des sols lié à la présence d’argile.
L’objectif du législateur est d’imposer la réalisation d’une étude géotechnique dans les zones exposées à ce risque. Les constructions visées sont explicitement les maisons individuelles, les logements collectifs étant formellement exclus. La réglementation impactera tant le régime de la vente des terrains que le régime des contrats de construction.
La loi Elan organise donc deux types d’étude : une étude préalable à la vente d’un terrain non constructible ouvert à la construction d’une maison individuelle (article L112-21 du CCH) à la charge du vendeur et une étude géotechnique préalable annexée aux contrats de construction à la charge du maître d’ouvrage (L112-22 CCH).
Dans le premier cas de figure, l’obligation sera susceptible de s’imposer à un professionnel (lotisseur, promoteur) autant qu’un particulier. Mais l’absence d’étude n’est pas sanctionnée par la loi ( !!) Cela étant, cette étude doit être annexée à l’acte de vente et le rester au titre de propriété.
Au risque d’engager sa responsabilité, le notaire veillera à la bonne réalisation de cette étude.
Dans le second cas de figure, pour toute réalisation d’une maison à usage d’habitation ou mixte ne comportant pas plus de deux logements, et située sur une zone à risque, l’étude géotechnique devient un élément obligatoire du contrat de construction entre un maître d’ouvrage et ses constructeurs (L112-22 CCH).
Le maître d’ouvrage dispose alors de deux possibilités : annexer l’étude géotechnique préalable à la vente du terrain si elle existe, ou faire réaliser une étude géotechnique a minima équivalente. Si l’étude met en évidence un risque avéré de retrait gonflement des argiles, le constructeur est tenu de réaliser les travaux sur la base d’une étude géotechnique adaptée au projet, ou de les réaliser en conformité avec les techniques de construction définies par voie réglementaire.

 

DES DISPOSITIONS À PRÉCISER


L’article 68 de la loi Elan appelle encore à la rédaction de plusieurs textes réglementaires d’application. Un décret simple doit définir les techniques particulières de construction visées dans l’article L112-23 du CCH lorsque les travaux sont réalisés sur une étude géotechnique simple. De plus, un décret en Conseil d’État (L112-25 du CCH) est attendu pour fixer les modalités de définition des zones exposées, le contenu et la durée des études géotechniques ainsi qu’un encadrement des contrats non soumis aux obligations relatives à la prévention des risques du sol lié au retrait gonflement des argiles. Des arrêtés préciseront également ces décrets.


DES MISSIONS SELON LES NIVEAUX DE RISQUES


Pour rappel, les missions dites
« USG » ont été introduites durant les années 1990 par l’Union syndicale de la géotechnique (USG). Elles ont été reprises et précisées dans la norme NFP94500 en 2000. Deux révisions sont venues adapter le texte aux évolutions des pratiques en 2006 et en 2013. Cette norme propose d’appliquer
une méthode progressive de gestion de risques. Elle introduit ainsi 3 niveaux de risques : le 1er niveau porte sur les risques majeurs qui peuvent remettre en cause le projet ; le 2e niveau est lié aux risques importants qui peuvent nécessiter des mesures appropriées en phase conception et lors de l’étude géotechnique d’exécution, ainsi qu’un suivi spécifique en phase réalisation pour décider si nécessaire de la mise en oeuvre d’adaptations ou de mesures prédéfinies les risques mineurs constituent le 3e niveau : ils peuvent justifier une optimisation en phase conception et lors de l’étude géotechnique d’exécution, ainsi qu’un suivi spécifique en phase réalisation pour aboutir à un faible impact en termes de qualité, sécurité, coût et délai. On peut synthétiser l’enchaînement des missions d’ingénierie géotechnique comme le montre le tableau en rapprochant ces missions des éléments de mission de la loi MOP.
Cette approche est itérative : chaque étape permet de préciser les ouvrages géotechniques en fonction de données complémentaires acquises sur les caractéristiques géotechniques du site (angle de frottement interne, cohésion, régime hydrogéologique, etc.) ou sur les contraintes du projet (nombre de sous-sols, descente de charges, avoisinants, etc.).
Seules les zones exposées au phénomène de mouvement de terrain différentiel consécutif à la sécheresse et à la réhydratation des sols sont soumises à la nouvelle obligation. L’étude réalisée avant la vente du terrain non bâti constructible est destinée à renseigner l’acquéreur des risques majeurs attachés au site. Le commanditaire de l’étude n’étant pas le maître d’ouvrage et le projet « à construire » n’étant pas défini, cette étude ne peut être qu’une étude préalable de type étude de site (G1 – ES).
L’étude géotechnique à destination des constructeurs (art L 112 23) doit être annexée à tout contrat passé par le maître d’ouvrage, soit avec un maître d’oeuvre, soit avec une entreprise.


CONSÉQUENCES PRATIQUES


Le Code civil précise qui sont les intervenants soumis à la responsabilité décennale obligatoire en bâtiment, c’est-à-dire ceux qui participent à l’édification de l’ouvrage, comme le stipule le Code civil, art. 1792 : « Tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit envers le maître
ou l’acquéreur de l’ou- vrage ». Ces intervenants sont donc en lien direct avec le maître d’ouvrage – Code civil, art. 1792-1 :
« Est réputé constructeur de l’ouvrage tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage, toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu’elle a construit ou fait construire, toute personne qui, bien qu’agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l’ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d’un locateur d’ouvrage. »
Cela signifie que le bureau d’études géotechniques qui réalise l’étude prévue à l’article
L.122-21 ne peut donc être soumis à la responsabilité décennale dans la mesure où cette étude n’est pas commandée par le maître d’ouvrage, et est établi alors que l’ouvrage à construire n’est pas encore défini.
On se souviendra de la décision jurisprudentielle du tribunal administratif de Lyon qui précise que le géotechnicien qui intervient pour la réalisation d’études préalables avant la désignation du maître d’oeuvre, alors que l’implantation de l’ouvrage n’est pas encore arrêtée, n’est pas constructeur au sens des articles 1792 et suivants du Code civil (cour administrative d’appel de Lyon, 7 octobre 2010, arrêt no 07LYO1210)
S’agissant de la mission définie à l’article L112-23, on peut légitimement s’interroger sur son unicité. En effet, l’étude annexée au contrat de maîtrise d’oeuvre ne peut être la même que celle annexée au contrat de travaux. L’étude annexée au contrat de maîtrise d’oeuvre ne peut être qu’une étude de type G1 – Études préalables. L’ouvrage n’est pas encore défini ou seulement dans ses besoins fonctionnels généraux (programmation).

La conception reste à venir puis-qu’il s’agit de l’objet même de la mission confiée au maître d’oeuvre. L’étude annexée au contrat de travaux doit au contraire « prend[re] en compte l’implantation et les caractéristiques du bâtiment » (art. L. 112-23 – 2e). Cette étude doit donc être une étude de
conception G2.


DES ALTERNATIVES QUI N’EN SONT PAS


Toutefois, la loi Elan propose en alternative aux études de conception (art. L. 112-23 – 2e) que soient mises en oeuvre, par défaut, des dispositions constructives définies dans un arrêté à paraître : « Le constructeur de l’ouvrage est tenu de consolider les fondations afin de limiter les déformations ».
Le projet d’arrêté reprend les dispositions identifiées depuis les règles de Philipponnat et reprises dans les propositions du BRGM :
Pour ce faire, il doit définir les contraintes sur les fondations, la nature, la profondeur minimale, l’horizon d’ancrage, la méthodologie d’exécution. Pour la superstructure, il a à sa charge des obligations de rigidification, de pose de joints de structure, de drainage et de gestion des eaux de pluie en prenant en compte les échanges thermiques et la végétation.
La liste détaillée des dispositions est longue. Comme on ne peut pas, contrairement à Monsieur Jourdain, faire d’ingénierie sans le savoir, le seul moyen d’y déroger est l’étude géotechnique de conception !
Cette liste doit de plus être considérée comme un ensemble de dispositions de base « nécessaire »,
et si elle ne s’avère pas « suffisante »,
la responsabilité décennale des constructeurs (sans faute) sera retenue. Les constructeurs auront alors tout intérêt à recourir en phase conception à une étude géotechnique de type G2.


RÉDUIRE LA SINISTRALITÉ


L’augmentation du nombre de catastrophes naturelles liées au risque de retrait gonflement des argiles alourdit considérablement la charge sinistre des assureurs multirisques habitation et décennale.
Les moyens de la prévention de ce risque en amont de la construction sont simples : étudier la géotechnique du site et prendre les mesures constructives adaptées. Les obligations mises à charge du vendeur, puis du maître d’ouvrage, devraient considérablement réduire la sinistralité en donnant aux concepteurs et réalisateurs des ouvrages les informations nécessaires.


Franck Pointet, juriste conseil
en assurance chez Crea
Jonathan Boulard, juriste conseil
en assurance chez Crea