LOI ELAN ET ASSURANCE DES CONSTRUCTEURS DE MAISONS INDIVIDUELLES - <p>Thibaud Levêque.</p>
05/07/2022

LOI ELAN ET ASSURANCE DES CONSTRUCTEURS DE MAISONS INDIVIDUELLES


La loi Elan portant sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique du 24 novembre 2018 a pour ambition de faciliter la construction de nouveaux logements et de protéger les personnes les plus fragiles. L’ambition première est de construire plus, mieux et moins cher avec une simplification des normes, pour construire plus et plus vite, une accélération des procédures. La loi doit permettre de limiter les recours abusifs contre les permis de construire et de faciliter la transformation des bureaux vides en logements.

Une disposition très importante pour les constructeurs de maisons individuelles est précisée à l’article 68 concernant les mesures à prendre face aux sols sensibles et en particulier au retrait gonflement des argiles. Ces phénomènes constituent une source de sinistralité importante depuis de nombreuses années « dans le contexte sols argileux » qu’il fallait tenter de réduire en prenant des dispositions précises pour les constructeurs et leurs clients, maitres d’ouvrages. Mais tout cela ne va pas forcément dans le sens de l’objectif affiché de « faciliter » la construction de nouveaux logements… Rencontre avec Thibaud Levêque, chargé de mission à la direction marché CMI.

 

Thibaud levêque, vous êtes chargé de mission à la direction marché CMI (construction de maisons individuelles). En quoi consiste exactement votre travail, votre service ?

 

Thibaud Levêque : Je suis juriste de formation. J’ai travaillé chez un garant, j’ai été responsable juridique chez un constructeur, et depuis 5 ans, je travaille à la direction du marché CMI à la SMABTP. Dans cette direction, nous ne traitons que des CMI, et je travaille plutôt dans l’évolution de nos produits d’assurance liés aux CMI. Nous travaillons dans l’analyse des risques spéciaux, quand les maisons sont particulières, par exemple ou d’un montant important. Nous avons à étudier des maisons semi-enterrées en architecture organique, mais également des maisons vernaculaires en pierre ou à colombages. Pour ma part, j’interviens plutôt sur des maisons dont les coûts s’élèvent à plus de 480 000 € TTC. Nous organisons aussi des conférences, des journées informatives auprès des constructeurs de maisons individuelles. Je suis aussi en quelque sorte une béquille pour nos conseillers sur le terrain, qui, eux, sont en relation avec les constructeurs afin de pouvoir répondre à toutes les interrogations des constructeurs, pas forcément en matière d’assurance, mais également sur leurs métiers. La loi du 19 décembre 1990 qui régit la construction de maisons individuelles est une loi très précise, très complexe et très rigoureuse. Elle est d’ordre public, on ne peut donc pas y déroger, et si vous le faites cela engendre une nullité du contrat, et fait encourir au professionnel une sanction pénale. Les constructeurs de maisons individuelles sont donc assez demandeurs de conseils : ils sont très sensibles à cet accompagnement.

 

Quelle est l’évolution du nombre de sinistres liés à des problématiques géotechniques ? Et plus particulièrement en lien avec la problématique du risque de sécheresse ?

 

En parlant macro-assurances, nous constatons une évolution, une certaine aggravation des sinistres liée au retrait/gonflement année par année notamment. Entre 2016 et 2018, nous étions entre 500 et 800 M€ annuel ; aujourd’hui, nous atteignons le milliard d’euros.

 

Combien de sinistres y a-t-il en fonction du nombre de souscriptions ?

 

Je ne peux pas vous donner le nombre de souscriptions exactes, mais je peux vous parler de prorata par rapport à l’ensemble du nombre de sinistres que nous recevons. Nous nous apercevons que nous avons une décorrélation entre la fréquence et le montant. Nous pouvons ainsi dire que 10 % des désordres liés à la sécheresse représentent 35 % des coûts des sinistres.

 

Et quelle valeur représentent-ils ?

 

On estime à 8 Mrds € le coût des sinistres « sécheresse » entre 1988 et 2013 ; une étude prospective sur les effets du changement climatique, avec des périodes sèches plus fréquentes sur les prochaines années, porte ce chiffre à 21 milliards d’€ pour la période 2014- 2039. D’où l’importance de la prise en compte du risque géotechnique et celui du retrait-gonflement des argiles en particuliers.

 

Quelles sont les attentes de la SMABTP en termes d’études géotechniques ?

 

On applique la loi Elan stricto sensu. On ne peut pas y déroger, cette loi a un impact direct sur celle du 19 décembre 1990, et notamment sur l’article L231-2 du Code de la construction et de l’habitation qui édicte les mentions minimales qu’il faut dans les contrats de constructions de maisons individuelles. Elle oblige ainsi le constructeur à faire référence à la loi Elan, et devient, par le fait, d’ordre public. Ne pas la respecter fait encourir un risque de nullité et un risque pénal.

 

Que demandez-vous aux CMI: des G2 AVP ? des G2 PRO ? des G4 ?

 

En dehors des impositions issues de la loi Elan, nous n’obligeons pas les constructeurs de maisons individuelles à réaliser des études de sol particulières.

 

En revanche, notre système de tarification permet d’octroyer un avantage tarifaire aux constructeurs qui s’engagent à faire réaliser une étude G2 PRO systématiquement. Nous les encourageons plus que nous ne les obligeons. En revanche, la G2 AVP ne permet pas de bénéficier d’avantage tarifaire systématique, et la G4 est très rarement effectuée dans le cadre de constructions de maisons individuelles, elle sous-entend une supervision d’exécution, ce qui est lourd à l’échelle d’un chantier réduit. Si les constructeurs prennent une G2 PRO, c’est déjà bien. Les constructeurs qui faisaient systématiquement des G2 AVP vont continuer avec des G2 PRO, mais ce n’est vraiment pas la majorité des cas, c’est plutôt une minorité. Traditionnellement le constructeur de maisons individuelles a peu recours aux études de sol donc l’apparition de la loi Elan est déjà une petite révolution en soi. De plus, la loi Elan est assez récente et on constate qu’elle n’est pas encore bien appréhendée par une partie de la profession.

 

Comment est née la loi Elan?

 

La partie de la loi Elan liée aux études de sol a été inspirée par des demandes des constructeurs de maisons individuelles. En effet, les CMI doivent assumer les adaptations liées aux défauts du sol, découverts après ouverture du chantier sans imputer les surcoûts à leurs clients. D’où l’idée d’imposer au vendeur du terrain de transmettre à son acquéreur une étude de sol. L’absence d’étude de sol avant signature du contrat de construction, difficile à faire assumer au clients qui n’a pas encore de financement entraînait souvent de mauvaises surprises après ouverture du chantier. Lorsque le constructeur se rend compte qu’il faut des fondations spéciales, ça coûte très cher, et il ne peut pas imputer la hausse du coût à son client qui est un particulier. C’est pour cela que le législateur a imposé dans les zones d’aléas moyens à forts une étude G1 à fournir par le vendeur du terrain. Si la G1 signale un risque de retrait gonflement, le constructeur doit prévoir dans le contrat de construction soit une G2 PRO, soit l’application de règles forfaitaires techniques. Cette G2 PRO qui finalement ne peut être fournie par le vendeur du terrain s’impute donc nécessairement sur le coût du projet. Les constructeurs ne se sont ainsi pas dédouanés du risque de sol qu’ils voulaient voire assumer par le vendeur terrain. Les CMI ne sont donc pas enthousiastes, le seul avantage est qu’ils sont tous logés à la même enseigne.

 

Comment procèdent vos confrères/concurrents ?

 

Beaucoup de nos confrères assureurs imposent une G2 PRO systématiquement en s’appuyant sur le DTU 13.1, lequel n’est pas un DTU obligatoire ; nous l’encourageons, mais ne l’imposons pas. En tant qu’assureur, l’idéal pour nous serait d’imposer au minimum une G2 PRO, mais le problème c’est que cela coûte cher. Pour une maison en primo-accession, par exemple, si l’on ajoute 1 500€ ou 2 000€ de plus au final au maître d’ouvrage particulier, ce dernier risque de ne pas pouvoir obtenir son prêt ou son financement pour acquérir sa maison. Nous en revenons toujours à la même chose : le coût ! L’enthousiasme des constructeurs s’est donc vite modéré. Beaucoup de particuliers ne vont plus pouvoir se faire construire de maisons individuelles, notamment les plus modestes. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : il y a 10 ans, il y avait 71 % de primo-accédants, et 30 % de secundo-accédants. Aujourd'hui, nous sommes à 50/50. Et nous n’avons pas encore constaté l’effet de la RE 2020 et la hausse des coûts de matières premières qui viennent s'ajouter. En ce qui nous concerne, notre risque ne s’est pas aggravé : bien au contraire, avec la loi Elan il s’est plutôt amélioré ! C’est pour cela que nous n’imposons pas la G2 PRO, même s’il y a des assureurs qui le font. Ils sont rassurés, car ils sont couverts, mais vis-à-vis des constructeurs ce n’est pas forcément les aider. N’oublions pas que la carte des zones d’alea moyen à fort a beaucoup évolué et que le retrait gonflement des argiles concerne 48% du territoire national.

 

La loi Elan transfère les risques liés à la sécheresse depuis les assureurs de catastrophe naturelle vers les assureurs de constructeurs. Est-ce que vous anticipez une augmentation du risque du fait que ce sont les constructeurs qui deviennent responsables des conséquences de la sécheresse alors qu’avant c’étaient les assureurs de catastrophe naturelle ?

 

En ce qui concerne le marché de la maison individuelle, je n'anticipe pas pour l'instant, étant données les règles et les normes de plus en plus rigoureuses, nous devrions malgré tout avoir moins de sinistres.

 

Quel est le coût moyen d’une réparation en cas de sécheresse (retrait-gonflement) ?

 

Le coût moyen d’un sinistre sécheresse est d’environ 20000 €. C’est le plus élevé des garanties dommages puisque la réparation peut passer par une démolition / reconstruction.

 

Pour aller plus loin, finalement est-ce que la vraie amélioration et la vraie maîtrise du risque, ne serait-ce pas la G4 (le contrôle de chantier) ?

 

La G4 avec supervision d’exécution n’est pas d’usage en maisons individuelle les chantiers ne sont pas assez important, sauf projets exceptionnels. Encore une fois ce genre de mission augmenterait davantage le coût de construction qui ne cesse de croître et déséquilibrerait encore l’accès à la propriété. SI les constructeurs optent pour la G2 PRO, c'est déjà bon signe.

 

Propos recueillis par Aude Moutarlier