RHAPSODIE EN SOUS-SOL - <p>Daniel Viargues, président de Soletanche Bachy.</p>
20/04/2020

RHAPSODIE EN SOUS-SOL


Daniel Viargues (à gauche) et sonsuccesseur Eric Tournemille sur lechantier de Puits d’Eole.

Après plus de quatre décennies chez Soletanche Bachy, Daniel Viargues, qui en est devenu le président en 2012, tirera sa révérence en avril prochain.
Une retraite bien méritée pour ce Parisien d’adoption qui n’a jamais oublié son Aveyron natal.

Dans son vaste bureau moderne du siège de la société Soletanche Bachy, situé à Rueil-Malmaison, en banlieue parisienne, Daniel Viargues pianote sur son ordinateur ; il tient à montrer une photographie de la maison dans laquelle il a grandi : une ferme, au fond d’un léger vallon, perdue au milieu de la campagne aveyronnaise. C’est non loin de Rodez que ce fils d’agriculteurs est né dans les années 1950 ; ses parents y possèdent une trentaine d’hectares en polyculture. « Je suis originaire de la France profonde, et je suis aveyronnais dans l’âme, mais pas auvergnat, s’amuse-t-il à dire. Ce que cette terre m’a légué, c’est que je ne cherche pas un contrat signé : serrer la main est déjà un gage de confiance ! ». S’il se dit dur en affaires, c’est aussi qu’il fait partie de cette vague d’Aveyronnais qui ont quitté la région au sortir de la guerre, laissant derrière eux une terre aux faibles perspectives de carrière.

 

UN GÉOLOGUE DE FORMATION

 

Né dans une petite maternité de Marcillac, il se dit chanceux : il a réussi à acquérir, il y a peu, une belle demeure à Conques, à quelques kilomètres de l’endroit où il a vu le jour ; le lieu idéal pour y passer ses vieux jours, même s’il avoue qu’il ne s’y enterrera pas en hiver. « Le coin est un paradis pour les chasseurs, mais le climat est rude pour ceux comme moi qui ne sont pas des adeptes de la gâchette, fait-il remarquer en souriant. Je partagerai donc mon temps entre la région parisienne et les paysages de mon enfance. »
Sa vie, Daniel Viargues la débute en pensionnat à Rodez dès l’âge de 11 ans.
Ses parents le poussent très jeune à quitter la région. Il se retrouve quelques années plus tard en prépa à Toulouse, puis à Nancy, où il intègre l’École nationale supérieure de géologie (ENSG).
« La nature m’a guidé dans ce choix d’études, car c’est un métier qui se passe à l’extérieur et qui comblait mon envie de ne pas passer ma vie bloqué derrière un bureau, explique-t-il. Rester
au contact du monde extérieur était pour moi une nécessité vitale. »
Son premier emploi comme ingénieur de chantier, c’est chez Bachy qu’il le décroche en 1980, à l’époque où les sociétés Soletanche et Bachy sont encore des sociétés indépendantes. Ce sera son premier et unique employeur, chez lequel il passera pas moins de 40 ans. Une fidélité qu’il doit probablement à sa passion. « À l’époque, les géologues nouvellement formés embauchaient principalement dans le secteur pétrolier, précise-t-il. À 24 ans, j’étais pour ma part déjà marié à une géologue du BRGM, et je ne voulais pas passer mon temps à parcourir le monde. Ma mère, notamment, ne l’aurait pas accepté, car, même si mes parents étaient satisfaits de m’avoir poussé à faire des études, ils ne voulaient pas trop d’éloignement non plus. »

 

DE GRANDS CHANTIERS À SON ACTIF


Basé à Orléans, il va pendant une dizaine d’années parcourir la France, au gré des chantiers de Bachy. Affecté à l’unité Grands Travaux de l’entreprise, il gère à l’époque des chantiers prestigieux tels
que la construction des métros de Lyon et de Lille, le palais omnisports de Paris-Bercy, mais aussi quelques centrales nucléaires, telles que celle de Cattenom. Il prend la direction de son service à l’âge de 34 ans, et délaisse la province pour rallier la capitale, qu’il ne quittera plus. Avec une centaine de personnes sous sa responsabilité, sa période parisienne le mènera sur les chantiers d’Eole, de Météor, ou encore sur ceux de la couverture de la gare de Montparnasse ou des confortements du RER C dans les années 1990. La gare du 14e arrondissement de Paris reste son chantier le plus mémorable. Ironie de l’histoire, à l’époque Bachy remporte le marché face à... Soletanche !
En 1997, Daniel Viargues est au coeur du système lorsque se concrétise la fusion des deux entreprises Soletanche et Bachy. « À l’époque, les deux sociétés étaient en concurrence frontale, et il a fallu marier pour le meilleur et pour le pire deux entités qui s’étaient affrontées pendant des années, se souvient-il. Il a donc fallu parler le même langage. »
Il est alors choisi comme secrétaire du comité d’entreprise. Une tâche qui se révèle périlleuse, car il est chargé d’harmoniser les statuts entre les deux comités existants au sein de chaque entreprise. Il prend donc son bâton de pèlerin et se rend sur les chantiers pour parvenir notamment à des accords sur les modalités de rémunérations. « J’étais en première ligne avec les ressources humaines et la direction pour harmoniser les pratiques, raconte-t-il. Je n’étais pas syndiqué, mais j’avais le soutien de la base, et notamment des ouvriers, dont je savais me faire entendre. Je dois sans doute cela à mes origines paysannes et à une forme de langage qui font que le monde ouvrier ne m’est pas hermétique. ».

 

DES FONDATIONS AU GÉNIE CIVIL

 

En 2007, Daniel Viargues est toujours là lors du rachat par Vinci. Le modèle alors mis en place par le nouveau « propriétaire » lui convient d’ailleurs : faire grandir les jeunes recrues au contact de salariés beaucoup plus expérimentés. Le couple binaire conducteur de travaux/ingénieur devient alors la norme. Aujourd’hui, Soletanche Bachy, ce sont 10 000 employés dans le monde, dont 1 300 pour le triptyque France-Belgique-Suisse, et un CA de 350 M€. « 30 ans en arrière, nous étions toujours appelés comme sous-traitants, se remémore Daniel Viargues. Désormais nous faisons partie des comités de direction de très gros chantiers et nous sommes partenaires sur le Grand Paris, traités d’égal à égal. Nous avons au fil des ans acquis le respect des majors qui nous prennent désormais en amont dans les groupements. » Le secret : la polyvalence.
Soletanche Bachy n’est en effet plus seulement une entreprise de fondations ; elle est dorénavant à même de conduire un chantier de génie civil. Une différence majeure par rapport au début de carrière de Daniel Viargues. Aujourd’hui, elle possède notamment à son tableau de chasse la rénovation du port du Havre, et vient d’obtenir l’ordre de service début janvier pour la construction des quais de l’installation portuaire. Soit 350 m de murs de quais érigés pour un budget de 140 M€ et un chantier qui durera 2 ans et demi. « Nous avons toujours été une entreprise avec un ADN d’ingénieurs capables de créer des variantes, ainsi que son propre matériel, tel que les Hydrofraises », souligne Daniel Viargues. Notre BET interne comprend pas moins de 40 personnes en France, et reste le gage d’une innovation toujours en marche. » Aujourd’hui, il l’avoue, il a tout mis en place pour que personne ne s’aperçoive de son départ à la retraite. Marié en secondes noces à une ingénieure de Soletanche Bachy originaire du Venezuela, il compte bien partager son temps entre une famille dispersée en Amérique centrale, en Floride et en République dominicaine. Si Daniel Viargues juge qu’en quatre décennies, des progrès énormes en termes de sécurité et de pénibilité ont été accomplis sur les chantiers, il sait qu’il reste beaucoup à faire, notamment sur le travail en tunnel.

 

LE POIDS DE LA RESPONSABILITÉ


Il gardera d’ailleurs un seul et lourd regret de sa longue carrière : le décès il y a 2 ans d’un grutier sur le chantier Eole à Nanterre. Pour la première fois, il vit au plus près un accident de travail mortel, dont il se sent encore aujourd’hui responsable. « À quelques mois de la retraite, alors que j’avais passé des années à gérer des centaines de collaborateurs sans anicroche aucune, cet accident fut un véritable choc, avoue-t-il. Ce père de trois enfants était après tout l’un de nos salariés. Impossible pour moi de me voiler la face et d’oublier. ». À l’heure de raccrocher les gants et de rejoindre « [son] Sud », Daniel Viargues n’a qu’un souhait : que les maîtres d’ouvrage continuent de vouloir « se payer » du Soletanche Bachy. « Le low-cost dans le génie civil, c’est la mort du métier, argue-t-il. Acheter de la qualité, cela revient toujours à s’assurer de livrer des chantiers délicats dans les règles de l’art. »

Les vitraux de Pierre Soulages à l’abbatiale Sainte-Foy de Conques ne le contrediront pas.

 

Steve Carpentier