L'IMPACT DU DÉGEL DES PERMAFROSTS SUR LES  PROPRIÉTÉS MÉCANIQUES DES SOLS - <p>Figure 1 : Coulée de boue qui a suivi l'effondrement d'un glacier, Bondo (Suisse) 2017.</p>
05/07/2022

L'IMPACT DU DÉGEL DES PERMAFROSTS SUR LES PROPRIÉTÉS MÉCANIQUES DES SOLS


Figure 2 : Coupe échantillon A non saturé avant le gel puis pendant le gel.
Figure 3 : Coupe échantillon B saturé avant le gel puis pendant le gel.
Figure 4 : Système Triaxial complet avec presse, cellule, vérins hydrauliques et unité de contrôle de la température.
Figure 5 : Installation de l’éprouvette de sol avec sa membrane, son chapeau drainant et spirale de température contrôlée.
Figure 7 : Visualisation du plan de cisaillement sur sol gelé avec et sans membrane

Le réchauffement climatique est un sujet d’actualité étudié par de nombreux scientifiques dans le monde entier. L’une des conséquences, et non des moindres, des effets de l’augmentation de la température globale moyenne est une élévation de la température du sol, provoquant ainsi un dégel graduel des permafrosts (sols gelés en permanence).

La fonte du permafrost a un impact significatif sur les propriétés du sol et sur l'écoulement des fluides (interstitiels) lorsque le sol passe d’un état gelé à un état dégelé. Cette modification d’état a plusieurs conséquences importantes. Le dégel du permafrost peut entraîner une instabilité et favoriser le déclenchement des dangers naturels gravitaires, tels que les glissements de terrain, les chutes de pierres/blocs, les laves torrentielles et les coulées de boues (figure 1) (Haeberli, 1992 ; Blikra & Christiansen, 2014 ; Frauenfelder, et al., 2018).

Les zones de dangers s’en retrouvent ainsi modifiées et pourront affecter dans l’avenir des zones actuellement considérées à faible risque. Il est donc important d’approfondir nos connaissances sur les changements subis par le permafrost lorsqu’il dégèle afin d’anticiper les risques futurs. Suite à son dégel, le permafrost en surface va également subir des variations saisonnières de gel/dégel. L’effet de ces variations cycliques va entraîner des gonflements et retraits du sol. Les infrastructures construites sur ces sols (routes, bâtiments, stations de ski, etc.) vont subir des dégradations dues à un effet de fatigue. Une autre conséquence du dégel des permafrosts est la perte de portance immédiate lorsque le sol passe d’un état gelé à un état dégelé. De nombreuses infrastructures sont aujourd'hui construites sur le permafrost, telles que les routes, les stations de ski, les lignes électriques ou les chalets alpins. Celles-ci seront affectées par ce phénomène dans un avenir proche. Une meilleure compréhension des conséquences (géo)mécaniques est nécessaire pour l'analyse, l'évaluation et l'atténuation des risques encourus par ces infrastructures.

C’est pour cette raison que des études préliminaires ont été menées sur les modifications des paramètres de résistance du sol afin d’évaluer la perte de portance des permafrosts lorsque ceux-ci dégèlent (Torche, 2017  ; Prina Howald & Torche, 2020) . Des tests de cisaillement direct à la boîte de Casagrande ainsi que des essais œdométriques ont été réalisés sur des sols limoneux avant, pendant et après une phase de gel de 15 jours à - 15°C. Il en résulte une augmentation de la compressibilité du sol d’environ 40 % entre un sol à l’état naturel et un sol ayant subi un cycle de gel/dégel. De plus une estimation de la modification de l’angle de frottement interne du sol ainsi que de la cohésion a été réalisée (à l’aide d’un cisaillement direct à la boîte de Casagrande) sur des échantillons gelés à - 15°C et après le dégel. L’appareillage utilisé n’étant cependant pas complètement adapté pour ce type de protocoles, les conditions d’essais n’ont pu être totalement maîtrisées.

 

Cette étude préliminaire menée par Erika Prina Howald et Jérémy Torche au sein de la Heig-VD (La Haute École d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud) en Suisse a démontré que les propriétés des sols sont fortement affectées par son état physique (gelé-non gelé). En effet, la structure même du sol se retrouve fortement modifiée lorsque le sol gèle. Les figures 2 et 3 sont le résultat d’analyse tomographique d’échantillons de sol limono-argileux avec sable et gravier à l’état gelé et avant gel. On peut clairement voir l’effet du gel sur la structure même du sol. Bien que les effets négatifs du gel sur les paramètres géomécaniques aient été montrés, les résultats obtenus manquent de précision. Une étude complémentaire plus poussée en termes de maîtrise des paramètres, avec un dispositif adapté aux essais sur sol gelé, est actuellement en cours.

Ce nouveau projet est l’approfondissement de l’étude préliminaire. Il vise à mieux comprendre et quantifier avec précision les modifications des paramètres du permafrost en raison du dégel. Afin de réaliser ces objectifs, des tests permettant de déterminer les paramètres de résistance du sol en fonction de la température seront réalisés sur des échantillons de permafrost prélevés et récupérés in situ puis maintenus en condition. Les données expérimentales obtenues seront ensuite interprétées selon les lois élasto-plastiques conventionnelles.

La station triaxiale à température contrôlée est idéale pour la réalisation de ce projet. Les composants de ce système sont de grandes qualités et permettent un contrôle très précis des conditions d’essais (température, contrainte appliquée, niveau de saturation, etc.). La Heig-VD s’est équipée avec grande satisfaction de ce système assez rare dans le monde, mais qui pourtant est la clé de voûte de ce projet d’étude.

En effet, Sols Mesures a été choisie pour la mise en place de ce système triaxial automatisé à température contrôlée (figure 4). Ce dispositif haut de gamme va permettre la réalisation d’essais triaxiaux en laboratoire, pilotés par ordinateur, tout en maîtrisant avec grande précision (au degré près) la température du confinement à l’intérieur de la cellule (autour de l’échantillon) de - 20°C à + 80°C.

Il va donc être possible à chaque stade de l’essai de mettre l’échantillon en situation de gel ou de dégel au moment voulu, ou de tout simplement maintenir constante la température d’un échantillon sorti d’une enceinte climatique où il aurait pu subir en amont des cycles de gel/dégel. Les champs de recherche et les protocoles d’étude en deviennent d’autant plus nombreux avec les seuils de température positive ou négative à atteindre, les vitesses de congélation et/ou décongélation, les niveaux de teneur en eau et saturation, le nombre de cycles de gel et dégel avant ou après consolidation, puis des cisaillements avec tout autant de variantes… Un seul et unique paramètre additionnel, le contrôle de la température, pour d’innombrables pistes d’étude supplémentaires !

Le principe de l’essai triaxial reste concrètement le même avec ses trois phases importantes de saturation, consolidation et cisaillement sur 3 éprouvettes de sol identiques pour principalement obtenir une cohésion et un angle de frottement ; sauf qu’ici l’application de la pression de confinement se fera avec un mélange liquide d’antigel pour permettre le maintien d’une pression importante à température négative sans risque de changement d’état. C’est à l’aide d’une spirale montée autour de l’échantillon (figure 5) dans laquelle circule le fluide d’un bain contrôlé par une unité de température, puis un manteau isolant autour de la cellule (figure 6) qui permettent de maîtriser la température de l’enceinte de confinement (cellule triaxiale) et donc de l’échantillon de - 20°C à + 80°C, au degré près. Les contraintes déviatoriques développées sur sols gelés pour atteindre la rupture et le plan de cisaillement de l’échantillon (figure 7) étant largement plus importantes, le dimensionnement de ce dispositif a été prévu à cet effet avec une presse de 100 kN équipée d’un capteur de force de même capacité pour un échantillon de diamètre 50 mm/hauteur 100 mm (Sigma3 à 2 MPa).

La Heig-VD se lance maintenant dans une longue et passionnante série d’essais pour exploiter ce fabuleux dispositif qui offre tellement de perspectives. La question sur l’acquisition de 2 stations triaxiales à température contrôlée complémentaires auprès de Sols Mesures pour l’exploitation de 3 éprouvettes simultanées se pose déjà au sein de l’école tant les champs de recherche sont nombreux et les résultats riches et intéressants.

 

Erika Prina Howald Professeur HES associé de géotechnique et dangers naturels

Jérémy Torche Ingénieur HES géomatique orientation construction et infrastructure

Alexis Averlan Directeur général de Sols Mesures