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Environnement

LA GÉOTECHNIQUE À LA RENCONTRE DE LA BIODIVERSITÉ
01/06/2019

LA GÉOTECHNIQUE À LA RENCONTRE DE LA BIODIVERSITÉ




Dans une cuillère de sol, il y a plus d’êtres vivants que d’humains sur la terre. À quoi sert le sol ? L’ingénieur en environnement, le terrassier, l’archéologue, le géologue, le géotechnicien ne l’approchent ni avec le même regard ni avec les mêmes techniques. Avec quelles incidences ? Entretien avec Pierre Audiffren, écologue géographe, Chic-Planète Consultants.

Solscope Mag : Qu’implique une rencontre entre géotechnique et biodiversité ?

 

Pierre Audiffren : Pour le géotechnicien, l’enjeu est de consolider le sol, de le sécuriser. De vérifier ses capacités de portance ou de les améliorer. Pour cela, il faut effectuer des reconnaissances plus ou moins invasives, en surface comme en profondeur. Comment ces techniques, qui provoquent parfois une artificialisation des sols, se traduisent-elles sur les projets ? Comment les pratiques sont-elles
appelées à évoluer pour répondre aux aspirations des jeunes générations de géotechniciens désireuses d’une meilleure prise en compte de l’écologie dans leurs missions ?

 

Solscope Mag : Est-ce que les professionnels voient le sol de la même façon ?

 

Pierre Audiffren : Pas du tout ! Observons le regard que pose chacun de ces professionnels sur le sol en progressant depuis les couches profondes vers la surface. Le géologue procède à l’étude des affleurements géologiques, prélève des échantillons, et traverse le sol pour étudier au laboratoire
quelles sont les caractéristiques de la planète. Il les décrit, commente leurs propriétés, en fait des inventaires : type de roches, plissements, glissements, minéraux…
Nous sommes ici à l’échelle des millions d’années. Le géotechnicien, lui, s’intéresse aux caractéristiques techniques des roches sous-jacentes et doit traverser le sol pour obtenir ces informations : quelle est sa dureté ? Quelles en sont les propriétés mécaniques, voire chimiques ?
Il va définir les propriétés de stabilité, réaliser les études de retrait gonflement, d’aptitude à l’assainissement… En remontant dans les formations superficielles, les disciplines se rapprochent.
Le géomorphologue étudie « la peau de la Terre », qui s’est fabriquée en quelques centaines de milliers d’années, par l’action conjuguée des glaciations, des inondations, des pluies, des éboulements, des glissements de terrain, de la vie, pour créer des formations superficielles qui se sont
plaquées petit à petit sur la roche. Ce sont les alluvions, les colluvions, les arrachages et dépôts variés
des glaciers et rivières. Le géomorphologue observe et décrit la roche recouverte de matériaux meubles. Ceux-ci ont évolué très lentement, sur des centaines, voire des milliers d’années. Des phénomènes physico-chimiques se sont déroulés simultanément par le bas et par le haut. L’eau traverse ces formations superficielles et atteint la roche mère, le socle géologique sur lequel elles reposent. L’acide et le CO2 que l’eau transporte contribuent à altérer cette roche mère, tandis qu’en haut, sur la zone meuble, l’activité de la vie, les plantes, les organismes du sol remanient et approfondissent en permanence cette couche. Ainsi, le sol se fabrique aussi bien par le fond que par la surface.
Autre approche : le sol a longtemps été vu par l’agronome comme un support physicochimique pour les cultures et les forêts. Devenu écoagronome, il comprend désormais, comme l’écopédologue,
que le sol est un milieu vivant. Ils sont attentifs aux 20, 30, 40 premiers centimètres, où on trouve
des brindilles, des vers de terre et des milliers d’arthropodes et autres décomposeurs qui travaillent à son enrichissement constant par recyclage de la matière organique.

 

Solscope Mag : Comment faire alors pour intervenir sur le sol ?

 

Pierre Audiffren : Quand un carrier ou un terrassier est sensibilisé au sol vivant, il essaie de procéder à un décapage sélectif et conservatoire pour limiter son impact, même si cela reste un peu brutal. Il est difficile de ne pas intervenir pour faire un chantier, de ne pas forer, de ne pas faire d’injections. En revanche, toute intervention peut s’entourer de précautions pour être la moins traumatisante possible pour le sol vivant. La clé est de porter attention au sol, de se poser la question :
le sol, à quoi ça sert ? De se souvenir que dans une cuillère de sol, il y a plus d’êtres vivants que d’humains sur toute la planète, et que 95 % de ce que l’on mange dépend du sol, de cette couche située entre 20 cm et 2 m qu’aucune loi ne protège en tant que telle, même s’il est explicitement mentionné parmi les intérêts à protéger dans l’article du Code de l’environnement relatif au contenu des études d’impacts (Art R.122-5-II al.2, 4 et 5).
Cette attention permet de mesurer que le sol met un millimètre par an pour se constituer, alors que l’érosion ou l’action humaine peuvent dégager de bien plus grandes épaisseurs en quelques secondes, d’appréhender tous les services écosystémiques que rend le sol. Constituant majeur de la biodiversité, il concourt à la séquestration du carbone et la régulation hydrologique : irrigation, stockage, restitution au besoin, filtrage de l’eau, enrichissement de l’eau… Le sol est aussi un « auto-épurateur » naturel : il est capable de métaboliser une goutte d’hydrocarbures, mais si trop de gouttes de pétrole sont versées sur le sol, il ne pourra plus les digérer. Autre rôle majeur : le sol crée des richesses organiques et des éléments nutritifs qui permettent de nourrir les plantes et la chaîne alimentaire qui en découle. Or, à l’échelle mondiale, les atteintes au sol lui font perdre par simple artificialisation l’équivalent de la superficie totale de la France tous les 5 ans, et en France, une superficie équivalente à un département tous les 10 ans !
On sait aujourd’hui que le sol est comme un plasma dans lequel circulent des informations entre les êtres vivants via les filaments mycéliens. L’acacia croqué par la girafe qui signale à l’arbre voisin le danger en est une illustration : ce dernier va émettre de l’amertume dans ses feuilles… et la girafe va s’éloigner pour trouver des arbres plus loin. Ces informations sont transmises entre les arbres par les airs ou… par le sol via les filaments mycéliens ; une sorte d’Internet souterrain !

 

Solscope Mag : Un conseil aux professionnels de la géotechnique ?

 

Pierre Audiffren : Se poser la question « le sol, à quoi ça sert ? » permet de limiter les actions traumatisantes sur le sol. Le professionnel concerné privilégiera des solutions plus douces qui maximisent la préservation du sol. Il fera usage de la bioremédiation dans le traitement des sols pollués. Si possible, il tiendra compte des saisons, des périodes de nidification, par exemple, pour réaliser des forages sur un terrain où les espèces d’oiseaux nichent au sol. Il verra comment mêler les techniques destructives à d’autres techniques moins impactantes. Le géotechnicien pourra être aux côtés de l’écologue qui fait son étude d’impact et, inversement, le géotechnicien pourra intégrer l’écologue dans ses investigations. L’enjeu est de mieux préserver cette couche meuble située entre 20 cm et 2 m dans la subsurface. Ces pratiques évolueraient d’autant plus facilement si les fondamentaux de l’écologie étaient enseignés dans les écoles de géotechnique, de mécanique des sols. À n’en pas douter, toutes les sciences sont utiles quand elles concourent ensemble.

 

Propos recueillis par Frédérique Lebon


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