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Géophysique

LA GÉOPHYSIQUE : UN OUTIL D'AIDE À LA CONSERVATION DE LA GROTTE DE LASCAUX  - <p>(a) Visite d’Henri Breuil à la grotte de Lascaux en octobre 1940 (Larivière). (b) Vue sur<br />la voûte du diverticule axial (photo de la visite d'une équipe de quatre journalistes,<br />accompagnés de la conservatrice du site Muriel Mauriac et du préhistorien Jean<br />Clottes, 6 janvier 2011) (ministère de la Culture).sur<br />la voûte du diverticule axial (photo de la visite d'une équipe de quatre journalistes,<br />accompagnés de la conservatrice du site Muriel Mauriac et du préhistorien Jean<br />Clottes, 6 janvier 2011) (ministère de la Culture).<br />© DR</p>
28/05/2024

LA GÉOPHYSIQUE : UN OUTIL D'AIDE À LA CONSERVATION DE LA GROTTE DE LASCAUX


(a) Photographie du site et de la porte d’entrée de la grotte. (b) Photographie dudispositif de mesure de tomographie de résistivité électrique et d’une des centralesmétéorologiques présentes sur le site de Lascaux.© DR
Disposition des profils sur le site et projection de la grotte,d’après Xu et al. (2016).
Vue du dessus du modèle 3D, montrant la zone superficielle. Letrait vert (d’après le levé forestier de S. Perrin, 2013) dessine lalimite entre les différents arbres (pin/chêne/châtaignier), le traitnoir dessine la limite fougère qui se trouve en dehors desdeux traits noirs (Xu et al., 2016).
(a) Carte géologique modifiée (d'après Verdet et al., 2020).(b) Coupe le long de la ligne A-A'. Notons que la limite dusantonien et la profondeur du remplissage de sable NE sontdéterminées entre 179 et 182 m NGF.
Dendrogramme résultant du partitionnement CHA, avec 5classes notées C1, C4, C5, C7 et C2 - C3 séparées.
Tableau 1. Synthèse des résultats en partitionnant les donnéesde TRE en 7 classes avec les valeurs médianes, minimum etmaximum de chaque classe.
Zones conductrices au nord de la grotte (Lharti, 2023) etémergence dans la grotte.
Vue globale de dessus du massif rocheux entourant la grotte de Lascaux. (a) Résultat de l'interpolation par krigeage appliqué surles données logarithmiques de résistivité. (b) Résultat de l'application de la classification à l'interpolation résultante par krigeage(Lharti, 2023).
Champ de température simulé dans le massif de la grotte deLascaux simulée pour janvier 2020. La cavité est représentée engris (Lharti, 2023).

La grotte de Lascaux est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979. Cette grotte ornée exceptionnelle,
surnommée la chapelle Sixtine de la préhistoire, est un emblème national et international d’une culture humaine vieille de 20 000 ans (Ducasse et Langlais, 2019). En raison d’une fréquentation excessive de la grotte et de l’apparition d’altérations des oeuvres pariétales, André Malraux décide de sa fermeture au public en 1963. Très rapidement, un conseil scientifique est nommé.

Ce conseil scientifique a en charge d’assurer la conservation de ce site préhistorique exceptionnel. Celui-ci (présidé par Yves Coppens puis Jean- Jacques Delannoy) et la DRAC Nouvelle-Aquitaine (Muriel Mauriac, conservatrice) ont confié à I2 M, depuis plus de 10 ans, la caractérisation et le suivi du massif karstique environnant la grotte.
En raison de la nécessité de protéger ce site, aucun sondage n’a été conduit à proximité de la grotte depuis les années 1960. Il a donc été naturellement choisi de mettre en oeuvre des méthodes géophysiques non destructives. En plus de ces mesures, de nombreuses autres données sont enregistrées depuis parfois plus de 60 ans, telles que la température dans la grotte, les données hydrogéologiques et les données microclimatiques.
En effet, l’un des éléments-clés de la conservation est la circulation de l’eau à la paroi, avec le danger que peuvent représenter la condensation ou la précipitation d’eau sur les oeuvres pariétales.
Des modélisations thermo-aérauliques ont été développées par Lacanette et Malaurent (2014) pour représenter au mieux la circulation de l’air dans la grotte et à la paroi. Le milieu karstique, non saturé, environnant la grotte a été considéré comme homogène en termes de propriétés thermo- physiques
(notamment sa diffusivité thermique). Les mesures géophysiques réalisées en 2013 ont montré la très grande hétérogénéité du massif. Nous nous sommes donc intéressés récemment (thèse de Lharti, 2023) au traitement de ces données géophysiques afin de simuler une propagation de la chaleur dans un modèle 3D, prenant compte de l’hétérogénéité du massif.


LA TOMOGRAPHIE DE RÉSISTIVITÉ ÉLECTRIQUE À LASCAUX


La tomographie de résistivité électrique (TRE) permet d’obtenir, après inversion des mesures de résistivité apparente, une image 2D ou 3D de la résistivité « vraie » en chaque point du milieu
investigué. Cette méthode a été choisie en raison de sa sensibilité à la porosité et à la teneur en eau du massif (mais aussi aux variations temporelles primordiales pour mieux comprendre ce milieu
non saturé) et à la teneur en argile (indicateur du niveau d’altération en milieu karstiques).
De nombreux dispositifs de mesure (organisation du plan de mesure entre électrodes) peuvent être utilisés. Après de nombreux tests, nous avons choisi la concaténation des dispositifs gradient, avec les dispositifs pôle-dipôle direct et inverse. L’espacement inter-électrodes est, pour la plus grande part des
profils, de 1,50 m. 96 électrodes sont ainsi déployées sur 144 m de longueur.
Les profils sont espacés entre eux de sensiblement 15 m. Au total, une vingtaine de profils ont été acquis, couvrant 2,5 ha au-dessus et autour de la grotte.
Ces données, après inversion, ont fait l’objet d’une modélisation 3D en mettant en oeuvre une méthode géostatistique. Le suivi temporel a permis de fixer la date de la campagne de mesure en
mars et avril 2013 afin que le massif soit au maximum de sa saturation.

 

PREMIERS RÉSULTATS

 

La première analyse des données acquises a montré la limite très irrégulière entre les formations détritiques sablo-argileuses (de résistivité médiane 45 Ω∙ m) présentes à l’ouest et à l’est du massif calcaire. Ces dernières sont recouvertes par du sable à l’est. Ces formations ainsi cartographiées par géophysique se localisent en dessous du massif forestier à dominance de pins sylvestres à l’ouest et de châtaigniers à l’est. La partie centrale dans laquelle se développe la grotte est constituée de deux
formations calcaires. La partie supérieure est constituée de calcaires qui ont été rattachés au Santonien par Verdet et al. (2020). Ce calcaire (résistivité médiane de 150 Ω∙m) est très altéré et peut être traversé de formations très conductrices et de résistivité variable avec les saisons (Xu et al., 2017). En dessous de sensiblement 180 m NGF, le calcaire coniacien, plus compact (résistivité médiane de 550 Ω∙m), voit se développer la plus grande partie de la grotte de Lascaux. Sur ces formations calcaires se développe une forêt à dominance chênes pubescents.


CLASSIFICATION DES DONNÉES


Ces données de TRE produites en 2013 ont fait l’objet d’une nouvelle analyse en 2023, mettant en oeuvre des méthodes de machine learning (Habiba Lharti, 2023). Il s’agit, dans ce cas, d’agréger les valeurs de résistivité électrique (57 760 données), en plusieurs familles afin de partitionner le
massif en un nombre limité de classes. Nous faisons ainsi l’hypothèse que les classes de résistivité électrique définies correspondront à des propriétés thermiques représentatives. Le résultat attendu est une partition spatiale du massif en 2, 3, 4, 5, 6 ou 7 classes qui permettra ultérieurement d’estimer
pour chacune d’elles une diffusivité thermique en utilisant une méthode inverse.
Trois méthodes de classification ont été testées sur l’ensemble des données de résistivité des 20 profils :

  • la CHA ou classification hiérarchique ascendante, appliquée aux données de résistivité acquises en suivi temporel a été développée par l’équipe d’I2 M depuis une dizaine d’années
    (Xu et al., 2017 ; Genelle et al., 2012) ;
  • le « K means » ou classification autour des centres mobiles, est une méthode très utilisée en géophysique pour traiter un grand nombre de données, tout particulièrement en sismique ;
  • une méthode hybride résultant de la combinaison des deux précédentes.

Il s’est avéré après de nombreux tests et l’analyse de critères d’évaluation, comme le coefficient de variation et l’indice silhouette, mais aussi grâce à la comparaison des données géologiques du site, que la classification hiérarchique ascendante calculée selon la méthode de Ward (Ward, 1963) appliquée aux distances euclidiennes, est la plus réaliste et la plus performante.


ANALYSE DES DONNÉES


Après filtrage des données très profondes n’influençant pas la propagation de la chaleur dans la grotte (> à 20 m de profondeur), et de celles du coniacien (altitude inférieure à 180 m NGF et de résistivité> 210 Ω∙m, C6), une classification des données a été réalisée sur 40 410 valeurs de résistivités électriques. L’utilisation de la méthode de classification hiérarchique permet à l’opérateur de choisir le nombre de classes dans lesquelles il va regrouper les données. Ainsi, sur l’arbre (ou dendogramme)
présenté ci-dessous, on peut choisir de séparer les données de résistivité électrique en deux classes, trois classes, 4,5 etc. classes.
Dans l’analyse présentée ici nous avons différencié 7classes :

  • les formations superficielles constituées de sables à l’est (C7) ;
  • les formations argilo-sableuses à l’est et l’ouest (C1, C2 et C3) ;
  • la partie centrale du calcaire santonien hétérogène et composée majoritairement des classes C4 et C5, traversée ponctuellement par les classes C1, C2 et C3 ;
  • le calcaire coniacien en profondeur (C6).

Le calcaire santonien (C4 et C5), plus superficiel, montre une grande variabilité de résistivité. En particulier, on distingue des formations très conductrices (C1, C2 et C3) de résistivité proche de celle des formations argilo-sableuses. Le suivi temporel, mis en oeuvre depuis 10 ans sur 4 profils localisés en amont hydraulique de la grotte, montre une diminution systématique de la résistivité électrique en hiver et au printemps.
Nous avons interprété cette diminution comme un conduit karstique rempli de sable et drainant l’eau à ces saisons vers les émergences non pérennes, actives aux mêmes périodes, et présentes en certains points de la grotte de Lascaux.
Par ailleurs, les capteurs de température localisés à la même profondeur dans la grotte, mais à proximité des formations détritiques, montrent des variations temporelles différentes de ceux localisés sous la succession des calcaires santonien et coniacien. Ils témoignent ainsi de l’influence des matériaux sus-jacents identifiés par la classification des valeurs de résistivité électriques.


CONSTRUCTION DU MODÈLE 3D


Pour une meilleure compréhension géologique et hydrogéologique, un modèle 3D de l'ensemble du massif rocheux entourant la grotte de Lascaux est construit à partir des données géophysiques. Un variogramme est calculé avec la somme de deux modèles théoriques (exponentiel et linéaire) et les données sont interpolées par la méthode de krigeage ordinaire.

 

MODÈLE THERMIQUE


Le modèle de propagation de la conductivité thermique peut ainsi être établi sur la base des hétérogénéités de résistivité électrique. À ces classes distribuées spatialement dans le massif
environnant la grotte, une méthode d’inversion des données de diffusivité thermique est appliquée.
La méthode d’optimisation retenue cherche à minimiser les écarts entre le modèle et les mesures du déphasage et de l’amortissement de la température. Cette optimisation se fait au moyen des valeurs de températures mesurées à la surface du sol (Salmon et al., 2023) et à différentes profondeurs dans
la grotte. Une simulation de la propagation de la chaleur dans le massif hétérogène a ainsi pu être conduite et a montré le rôle primordial du passage du calcaire santonien au calcaire coniacien
(Lharti, et al., 2023). Si les valeurs de diffusivité thermique sont très voisines de celles trouvées dans la littérature, issues de mesure en laboratoire, pour le calcaire coniacien compact et l’argile), aucune donnée n’est à ce jour trouvée pour comparer celles des matériaux altérés qui recouvrent la partie superficielle du massif ayant subi une altération karstique. Cette méthode a montré l’impact des hétérogénéités définies par la CHA appliquée aux résistivités électriques (mesurées par tomographie de résistivité électrique) sur la propagation de la chaleur dans le massif de Lascaux et ce jusqu’à 20 m de profondeur. La modélisation des convections thermiques à l’intérieur de la grotte peut désormais être effectuée en prenant comme conditions aux limites les températures à la paroi ainsi obtenues en tous points de la grotte.
Cette méthode développée sur un site prestigieux et équipé depuis 60 ans peut tout aussi bien être mise en oeuvre dans des sites plus limités spatialement, de profondeur différente, dans un objectif, par exemple, de connaissances des propriétés des matériaux pour un équipement géothermique. La méthode de partitionnement des données (CHA) peut quant à elle être appliquée à l’interprétation de tomographie de résistivité électrique sur de nombreux sites dès que la nécessité d’une analyse rapide et quantifiée est nécessaire. Elle permet de renvoyer des dimensions géométriques plus objectives.

 

Colette Sirieix
Professeur, I2 M Université de Bordeaux
Cécile Verdet
Maître de conférences, I2 M Université de Bordeaux
Habiba Lharti
ATER/Postdoc, I2 M Université de Bordeaux

 

BIBLIOGRAPHIE
• Ducasse, Sylvain, et Mathieu Langlais. 2019. « Twenty Years on, a New Date with Lascaux. Reassessing the Chronology of the Cave’s Paleolithic Occupations through New 14C AMS Dating ». Paléo, no 30‑1 (décembre) : 130‑47. https://doi.org/10.4000/paleo.4558.
• Genelle, F, C Sirieix, J Riss, et V Naudet. 2012. « Monitoring Landfill Cover by Electrical Resistivity Tomography on an Experimental Site ». Engineering Geology 145‑146 (septembre) : 18‑29. https://doi.org/10.1016/j.enggeo.2012.06.002.
• Lacanette, Delphine, et Philippe Malaurent. 2014. « Prévision climatique 3D dans la grotte de Lascaux » 63 : 49‑57.
• Lharti, H, F Salmon, C Sirieix, J Riss, et D Lacanette. 2023. « Caractérisation des propriétés thermiques du massif de Lascaux par méthodes inverses ». Congrès Français de Thermique.
• Lharti, Habiba. 2023. « Caractérisation et modélisation thermo-physique des matériaux dans un milieu hétérogène. Application à la grotte de Lascaux. » 2023, novembre.
• Salmon, F., D. Lacanette, H. Lharti, et C. Sirieix. 2023. « Heat Transfer in Rock Masses : Application to the Lascaux Cave (France) ». International Journal of Heat and Mass Transfer 207 (juin) : 124029. https://doi.org/10.1016/j.ijheatmasstransfer.2023.124029.
• Salmon, F, H Lharti, D Lacanette, et C Sirieix. 2023. « Simulation massivement parallèle de la convection thermique dans la grotte de Lascaux ». Congrès Français de Thermique. https://doi.org/10.25855.
• Verdet, C, Colette Sirieix, Antoine Marache, Joëlle Riss, et Jean-Christophe Portais. 2020. « Detection of Undercover Karst Features by Geophysics (ERT) Lascaux Cave Hill ». Geomorphology 360 (juillet) : 107177. https://doi.org/10.1016/j.geomorph.2020.107177.
• Ward, Joe H. 1963. « Hierarchical Grouping to Optimize an Objective Function ». Journal of the American Statistical Association 58 (301) : 236‑44. https://doi.org/10.1080/01621 459.1963.10500845.
• Xu, S, C Sirieix, A Marache, J Riss, et P Malaurent. 2016. « 3D Geostatistical Modeling of Lascaux Hill from ERT Data ». Engineering Geology 213 (novembre) : 169‑78. https://doi.org/10.1016/j.enggeo.2016.09.009.
• Xu, S, C Sirieix, J Riss, et P Malaurent. 2017. « A Clustering Approach Applied to Time-Lapse ERT Interpretation — Case Study of Lascaux Cave ». Journal of Applied Geophysics
144 (septembre) : 115‑24. https://doi.org/10.1016/j.jappgeo.2017.07.006 


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