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Normalisation/ réglementation

05/07/2022

LOI ELAN ET RGA - UN ARRÊTÉ QUI SAPE LES FONDEMENTS DE L'ARTICLE 68 !


Plus de trois ans après son vote à l’Assemblée, l’heure est à l’élaboration d’un « Rex », ou « retour d’expérience » faisant bilan de l’article 68 de la loi Elan, dont l’ambition est de prévenir les dégâts au bâti provoqués par le phénomène de retrait-gonflement des argiles (RGA). Parties prenantes au débat qui mobilise les professionnels de la construction de maisons, les bureaux d’études d’ingénierie et de géotechnique alertent sur la dérive observée de pratique de rapports dits « loi Elan », non conformes à la norme NFP 94-500, et sur les limites évidentes de l’arrêté du 22 juillet 2020, publié au Journal officiel du 6 août 2020. Selon eux, la mention de « dispositions minimales forfaitaires », techniquement discutables, en lieu et place de l‘obligation préalable d’études géotechniques de conception – inscrite dans le texte initial – met en péril tout l’édifice de l’article 68.

L’esprit de l’article 68 de la loi Elan serait-il remis en question par son dernier décret d’application en date  ? Avec cet article du Titre 1er de la loi Elan («Construire plus, mieux et moins cher»), le législateur a souhaité protéger les propriétaires de maisons individuelles de la sinistralité suscitée par les mouvements différentiels liés au retrait-gonflement des argiles (RGA)  : atteinte aux structures, fissurations externes et internes, dommage aux réseaux de l'habitation. Depuis la mise en application pratique de l'article 68, fin 2019, les vendeurs d’un terrain constructible ou les constructeurs d’une maison individuelle, qu'ils soient particuliers ou professionnels, ont l'obligation de procéder à une étude de sol. Cette disposition fait l'objet d'un zonage. Elle s'impose aux parties du territoire national considérées comme à risque «fort» ou «moyen», soit près de 48 % du territoire métropolitain (voir carte du BRGM, publiée courant 2019, qui fait référence). Paru au JO du 24 novembre 2018, l'article 68 de la loi Elan est d’autant plus louable qu’il tente d’apporter une réponse suffisante et adaptée en termes de prévention à un problème coûteux pour l’économie française, le système assurantiel et/ou le budget des ménages. Connu depuis des décennies des professionnels de la construction (spécialistes des sols, ingénieurs structure, architectes, constructeurs de maisons individuelles et assureurs), le RGA représente la deuxième cause de sinistralité du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, dit Cat Nat (voir encadré 1).

 

BERTRAND MOUSSELON, INGÉNIEUR ETP, VICE-PRÉSIDENT DE CINOV INGÉNIERIE POUR LA RÉGION RHÔNE-ALPES, DIRECTEUR DE LA SOCIÉTÉ CREA ASSURANCE

 

  • « La sinistralité due au RGA représente des sommes considérables : 9 Mrds € y ont été consacrés dans la période 1990- 2014. Et l’on assiste à la croissance du coût moyen des sinistres dans les toutes dernières années. Le changement climatique, avec sa succession d’épisodes de sécheresse et de périodes pluvieuses de forte intensité, laisse d’ailleurs présager d’une intensification à venir du phénomène. La profondeur du front de dessication des argiles générant des sinistres RGA s’aggrave d’année en année.
  • L’article 68 rend nécessaire la production par le vendeur d’une étude géotechnique préalable lors de la cession d’un terrain constructible. Un second degré de prévention est prévu par le législateur dans le texte initial : obligation est faite à tout porteur de projet de réalisation de maison individuelle de communiquer à son architecte ou son constructeur une étude géotechnique de conception. Ainsi après avoir été sensibilisés au terrain, professionnels et particuliers franchissent une étape supplémentaire en affinant leur connaissance quant à la question de la relation du sol et du bâti.
  • La superstructure, c’est une évidence, doit être adaptée aux caractéristiques du sol sur lequel elle repose. La reconnaissance desdits terrains est donc un préalable incontournable à la conception du bâti et de ses fondations.
  • Ces dernières font la liaison entre le sol et la superstructure. Elles doivent respecter les règles de l’art, notamment en termes de nature et de profondeur ! Si les puits ou pieux de fondation sont rarement déployés pour les maisons individuelles, la rigidification structurelle peut contribuer à la résilience de l’ouvrage. Ces dispositions constructives peuvent comprendre :      - des semelles filantes raidies (armatures en T) , d’une profondeur suffisante, et j’insiste sur la question de la profondeur suffisante, définie par un spécialiste géotechnicien ;                            - une dalle portée faisant diaphragme plutôt qu’un simple dallage.
  • Le contenu des études géotechniques préalables et de conception au sens des articles L.112-21 et L.112-22 du Code de la construction et de l’habitation (CCH), est indispensable pour fixer le degré de précaution à prendre et la préconisation de solutions constructives viables. Ces dernières sont éminemment variables en fonction de la nature et du degré d’intensité du ou des risques géologiques. Car il n‘y a pas que le risque “argile” qui soit mis en évidence dans une étude de sol digne de ce nom !
  • Peuvent et doivent être mis en évidence dans une étude géotechnique le risque sols compressibles, voire tourbe, celui de la présence de cavités, de possibilité de présence d’écoulements hydrauliques souterrains, de stabilité de talus ou soutènements, de précautions à prendre vis-à-vis des mitoyens, pour n’en citer que quelques-uns. L’environnement de la maison peut aussi jouer un rôle, comme la présence d’un arbre ou de plantations modifiant la circulation de l’eau à proximité. Une analyse géotechnique, avec des préconisations constructives précises, au stade de l’avant-projet (de type G2 Pro selon la norme NFP 94-500, qui définit les missions des géotechniciens) est un gage essentiel à la pérennité du bâti !
  • Encore faut-il que l’étude de sol ne soit pas de type “documentaire”, comme on en voit en circulation aujourd’hui sous l’appellation étude “G1 loi Elan”.
  • Un rapport géotechnique de cet acabit ne respecte la loi que très superficiellement et certainement pas les objectifs et moyens fixés par la norme NFP 94-500. Il ne contribue pas à réduire les risques et passe donc à côté des attentes du législateur. Il est faussement sécuritaire. Et n’apporte aucune indication claire dans les dispositions constructives ». 

 

PASCAL CHASSAGNE, PRÉSIDENT DE L’UNION SYNDICALE GÉOTECHNIQUE (USG)

 

  • «La loi Elan du 24 novembre 2018 était peut-être incomplète, mais se donnait les moyens de son objectif  : prévenir le risque de dommages pour les maisons individuelles exposées au phénomène de la RGA.
  • Incomplète, car la carte des zones exposées à un risque “moyen” et “fort” exclut 52 % du territoire métropolitain du périmètre de l’article 68 de la loi. De plus, seul le risque “argile” est pris en compte, comme l’a expliqué Bertrand Mousselon, ce qui n’est pas parfaitement sécurisant pour le propriétaire de la maison.
  • Pour autant, il allait dans le bon sens en introduisant la nécessité d’études géotechniques lors de la vente d’un terrain puis dans la phase de la construction. Une étude G1 PGC, comme l’explique notre “Guide d’application de la loi Elan”, suppose une reconnaissance approfondie des terrains concernés. Qui doit être poursuivie par une étude de conception G2.
  • On doit, par exemple, reconnaître les sols à une profondeur de 5 m minimum, sous le niveau des fondations prévues. Outre des essais in situ, l’investigation comporte des prélèvements et des analyses en laboratoire et se doit de comporter des dispositions constructives exploitables  ! La loi avait un caractère opérationnel et très concret en vue d’atteindre un résultat.
  • L’arrêté du 22 juillet 2020, se traduit par une annulation de la contrainte, et vient contrarier la finalité de la loi de 2018. Comment considérer autrement que des “dispositions constructives forfaitaires” proposent de réaliser des fondations de 0,80 m et 1,20 m de profondeur, respectivement dans les zones d’aléa “moyen” et d’aléa “fort”. Alors que pratique et expérience enseignent aux géotechniciens que des fondations de 2,20 m et 2,50 m sont parfois nécessaires. On est loin du principe de “coût/efficacité” prôné par la Cour des comptes dans son dernier rapport sur la loi Elan et la RGA.
  • On commence tout juste à entrapercevoir les premiers méfaits de la loi en termes judiciaires. Et la question se posera inévitablement de savoir à qui il incombera de payer quand les sinistres se multiplieront. Et rappelons – alors que tout le monde s’accorde désormais sur l’irréversibilité des changements climatiques – qu’ils ont une incidence directe sur l’importance du coût collectif, ou individuel, du phénomène RGA. »

 

Philippe Morelli


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