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La donnée à l'ère du numérique ?

DATA ET CLIMAT : LES DONNÉES À LA SOURCE D'UN OUTIL D'ÉVALUATION CARBONE DES OUVRAGES GÉOTECHNIQUES - <p>Répartition des émissions de carbone en France.</p>
30/11/2023

DATA ET CLIMAT : LES DONNÉES À LA SOURCE D'UN OUTIL D'ÉVALUATION CARBONE DES OUVRAGES GÉOTECHNIQUES


Devant l'urgence climatique, des stratégies nationales et internationales sont mises en place pour passer progressivement vers une économie à zéro émission nette de carbone d'ici 2050. L’ingénierie géotechnique doit s’inscrire dans cette démarche et intégrer, au coeur même des processus de conception, l’enjeu majeur de réduction de l’empreinte carbone.

La part imputable à la construction des infrastructures (incluant toutes les infrastructures liées à la mobilité, l’énergie, le numérique, l’eau, les ouvrages de protection) représente 3,5 % du total des émissions d’équivalent carbone de la France. La géotechnique peut et doit prendre sa place, afin d’agir pour réduire autant que possible cette part d’émissions.
Cette intégration passe par le développement d’un savoir-faire : être capable d’appréhender et d’estimer l’empreinte carbone des ouvrages, et en particulier des ouvrages géotechniques.
Le nombre de paramètres entrant dans une estimation fine est colossal, et les sources de données permettant de constituer la base nécessaire aux calculs sont multiples et dispersées.
Terrasol s’est constitué une base de données rationnalisée qui retient de ce vaste corpus les entrants les plus impactants pour les ouvrages géotechniques. L’objectif a été de développer Ecow, un module de calcul adapté, calibré avec un juste dosage entre précision des estimations et simplicité d’utilisation. Cet outil du quotidien s’intègre dans Orbow, la plateforme web de Terrasol. Il permet, en quelques minutes seulement, de comparer des solutions techniques du point de vue des critères de
sobriété carbone.


OPTIMISATION DES OUVRAGES : UNE ÉVIDENCE, TOUTEFOIS INSUFFISANTE


La conception bas carbone suppose d’intégrer des concepts de frugalité, d’efficience et d’optimisation. Par nature, les concepteurs d’ouvrages optimisent structurellement les ouvrages et limitent de facto leur empreinte par une utilisation plus raisonnée de la matière. Ils utilisent également leurs retours d’expérience pour mettre en avant les solutions les plus pertinentes techniquement et économiquement. Mais, pour être alignée avec les objectifs de décarbonation du secteur de la construction, l’analyse multicritères doit aller plus loin et intégrer, outre les aspects méthodes, planning et coûts, le critère carbone.
Par ailleurs, l’exercice de l’évaluation carbone n’est pas toujours intuitif, et nécessite donc d’être cadré. On peut citer l’exemple d‘un ouvrage industriel pour lequel plusieurs variantes de fondations s’avèrent techniquement envisageables vis-à-vis des critères de portance ou de limitation des déformations.
La comparaison menée sur l’empreinte carbone permet de démontrer qu’une solution en pieux battus acier ouvert est largement plus émettrice que la solution en pieux béton armé.
L’évaluation carbone peut également, dans certains cas, amener le concepteur à réévaluer certains critères, ou seuils. On peut citer par exemple la comparaison entre une solution de fondation d’un mur de soutènement sur pieux et une autre sur inclusions rigides. De prime abord, on peut s’attendre à ce
que les inclusions, généralement de plus petit diamètre et non ferraillées, aient une empreinte carbone systématiquement favorable. Dans ce cas précis, ce n’est pas le cas du fait de la nécessité du matelas de répartition en tête des inclusions, d’une part, et, d’autre part, car cela conduit à allonger le talon du mur. Certes les deux solutions ne sont pas techniquement équivalentes, mais cela illustre l’intérêt, quand cela est possible, de bien peser le rapport bénéfices-risques entre contraintes techniques et sobriété des solutions évaluées. Dans tous les cas, cela nécessite une estimation étayée, au cas par
cas, à l’aide d’un outil adapté.


APPLIQUER L’ÉVALUATION CARBONE AUX OUVRAGES GÉOTECHNIQUES


Les ingénieurs géotechniciens ont un rôle important à jouer dans la décarbonation, car les solutions géotechniques qu'ils proposent ont un impact significatif sur les méthodes de construction utilisées et les quantités de matériaux mises en oeuvre. Pour parvenir à réduire l’empreinte environnementale
des ouvrages géotechniques, une étape indispensable est de mieux cerner les émissions de gaz à effet de serre (GES), induites par les différentes solutions qu'ils conçoivent.
Cela nécessite le développement d'outils d'aide à la décision permettant d’estimer les émissions de GES des différentes variantes envisageables.
Un état des lieux des initiatives en cours permet de voir que la profession évolue rapidement sur le sujet : de très nombreux logiciels sont disponibles, qui couvrent le domaine de la construction en général (bâtiments notamment), mais ces logiciels sont souvent peu adaptés pour traiter les ouvrages géotechniques ;
le domaine géotechnique le plus « étudié » est celui des terrassements et mouvements de terre (Logiciels Seve, Ecorce 2, projets TerCO2, recommandations Cerema, etc.). Ce secteur de la géotechnique est évidemment important, mais il convient de traiter également tous les autres ouvrages géotechniques.
Des logiciels dédiés à l’estimation de l’impact carbone des fondations et renforcements de sol existent, mais il s’agit généralement d’outils développés par les entreprises pour les phases exécution des projets, avec une application parfois limitée à un type d’ouvrage géotechnique donné. Ces outils sont
précis, mais les calculs d’empreinte carbone peuvent s’avérer chronophages en raison d’un nombre de paramètres important. Fort de ces constats, Terrasol a ressenti la nécessité de développer un calculateur carbone géotechnique plus universel – c’est-à-dire couvrant l’ensemble des activités induisant une interaction avec le sol (terrassement, travaux de fondation, soutènements, renforcements de sol, etc.) – et en même temps plus simple d’utilisation et plus adapté aux usages des ingénieurs géotechniciens. Le développement s’est axé sur plusieurs points d’attention :

 

  • utiliser une méthode de calcul standardisée et conforme aux recommandations actuelles ;
  • créer un outil rapide et intuitif qui peut être utilisé facilement par des non-spécialistes des problématiques bas carbone, et dont l’usage peut donc être généralisé rapidement ;
  • concevoir une interface pensée pour tenir compte du type d’informations disponibles en phase études, notamment du niveau de connaissance, souvent limité à ce stade, des équipements
    et machines qui seront mobilisés sur chantier. Le nombre de paramètres doit être limité aux paramètres-clés, tout en donnant des ordres de grandeur suffisamment précis
  • inclure néanmoins un mode avancé plus précis comprenant plus de paramètres pour réaliser notamment des estimations en phase EXE ;
  • inclure des rendus graphiques permettant de comparer immédiatement plusieurs variantes entre elles.

 

CHOIX MÉTHODOLOGIQUES


Les principales sources d'émission lors de l’exécution de fondations profondes ou de techniques d’amélioration des sols sont généralement les mêmes, bien que leur importance relative varie en fonction des différentes solutions. Celles-ci peuvent être divisées en sources primaires ou secondaires en fonction de leur importance.
Pour les travaux de fondations et de renforcement ou d’amélioration de sol, l’outil Ecow propose de s’appuyer en partie sur les résultats d’une étude menée par les acteurs de EFFC (European Federation of Foundation Contractors) et DFI (Deep Foundations Institute) dans le cadre du développement du calculateur carbone EFFC-DPI. Dans le cadre de cette étude, une quinzaine de techniques ont été étudiées et confrontées aux émissions de GES mesurées sur des projets réels.
Le calculateur EFFC-DPI donne ainsi une répartition moyenne des postes d’émission par source, notamment pour les émissions liées à la fabrication des matériaux, le transport de ces matériaux et l’énergie, mais aussi pour des postes plus secondaires (transport de machines, déplacements de personnes, immobilisations, déchets) qui sont difficiles à estimer au stade des études. L’étude montre que les émissions de GES de ces postes secondaires sont peu significatives, représentant généralement moins de 1 % du total des émissions.
Dans Ecow, l’approche retenue consiste donc à ne pas tenir compte des émissions GES pour les postes secondaires et à se concentrer sur les postes majeurs que sont les postes « matériaux », « transport des matériaux » et « énergie ». Cette approche est suffisante pour comparer l’empreinte carbone de plusieurs variantes et orienter les choix de conception et décisions des maîtres d’ouvrage.
Le calculateur intègre également les préconisations du guide du Cerema : « Recommandations pour l’évaluation des émissions de gaz à effet de serre des projets ». Ce guide propose des facteurs d’émission « agrégés » pour les travaux de déblais et remblais (avec ou sans traitement aux liants hydrauliques), combinant fabrication, transport et mise en oeuvre, et permet d’obtenir des ordres de grandeur des émissions suffisamment précis en adoptant une démarche simplifiée.
Le principe de base du calcul d’empreinte carbone est toujours le même : les données d’activité sont multipliées par les facteurs d’émission (figure 2). Ces facteurs convertissent les émissions associées à chaque activité en équivalent CO2 (CO2eq), basés sur leur potentiel de réchauffement global. Ces facteurs d’émission viennent de bases de données, publiques ou privées, qui peuvent contenir des milliers de facteurs d’émission, et couvrent un éventail plus large que les activités de fondations
profondes ou d’amélioration des sols. Pour le développement de l’outil Ecow, les facteurs d’émission retenus sont issus de bases de données conformes à la norme NF EN 15804.
À noter que seul l’indicateur d’impact « réchauffement climatique » (exprimé en CO2eq par unité fonctionnelle de données d’activité) est considéré à ce stade. À terme, d’autres indicateurs d’impact seront intégrés pour permettre une analyse approfondie et globale de l’impact environnemental d’un projet.
Différentes bases de référence ont été retenues pour les principaux produits intervenant dans les ouvrages géotechniques : une sélection d’une centaine de matériaux différents (bétons, ciments, liants hydrauliques, aciers recyclés ou non recyclés, etc.), et plus de 600 équipements divers (foreuses, grues, pelles, camions, etc.) ont été implémentés dans le calculateur.
À chaque facteur d’émission est associé une fourchette d’incertitude qui est prise en compte dans le calcul, permettant d’obtenir des estimations basses et hautes des émissions de GES.

 

ILLUSTRATION SUR UN CAS D’ÉTUDE


Nous présentons ici la comparaison entre deux solutions de renforcement pour un projet fictif de soutènement : une dalle sur micropieux et une paroi clouée. Des calculs de dimensionnement
géotechnique ont été menés pour ajuster les dimensions des clous, des micropieux et de la dalle afin de s’assurer que les solutions sont comparables en termes de performance technique du renforcement et donc que les comparaisons en termes d’émissions de GES sont pertinentes.
Dans le cadre du cas d’étude, la première solution technique étudiée est une paroi clouée sur une surface de 70 m² comportant 4 lits de clous et un parement en béton projet. Les principales caractéristiques de la paroi clouée sont les suivantes :

  • 340 ml de clous de diamètre de forage 120 mm avec barres GEWI ;
  • sur-volume de coulis : 5 % ;
  • béton projeté : épaisseur 15 cm, 2 nappes de treillis soudés.

Cette solution conduit aux émissions carbone suivantes :

La figure 3 montre graphiquement la décomposition de l’empreinte carbone de la solution paroi clouée pour la fourchette moyenne d’incertitude.
Dans le cadre du cas d’étude, la seconde solution étudiée est une dalle sur micropieux. Les principales caractéristiques de cette solution sont les suivantes :

  • 28 micropieux de diamètre 250 mm armés de tubes pétroliers et de longueur 15 m ;
  • tubage provisoire pour le maintien des parois de forages pendant l’exécution ;
  • sur-volume lié à l’injection : 5 %.

Cette solution conduit aux émissions carbone suivantes :
La figure 4 montre la décomposition de l’empreinte carbone de la solution dalle sur micropieux pour la fourchette d’incertitude moyenne.
L’outil permet au concepteur de fournir un nouvel éclairage au maître d'ouvrage, en complément des objectifs financiers et de délais, à l’aide d’une comparaison lisible et quantifiée des émissions de GES des différentes solutions techniques.
La figure 5 montre que la solution de dalle sur micropieux est, pour ce cas d’étude, plus émissive que la solution paroi clouée, et ce, pour toutes les fourchettes d’incertitude. Cela s’explique par le fait que les micropieux présentent une longueur importante pour garantir un ancrage dans le substratum. Cela met en jeu des quantités de matériaux (armature et coulis) plus importantes que pour la solution de clouage.
On remarque au passage que la majeure partie des émissions est naturellement liée au poste « Matériaux » qui est la source d’émission primaire (carbone lié à la fabrication des matériaux).
En complément du calcul précédent, il convient d’inclure également dans l’étude les émissions liées aux mouvements de terre pour aménager une plateforme de travail (et ce même si le projet ne prévoit pas d’artificialisation des sols). Ces émissions sont en partie liées aux opérations de transport, à savoir le transport des matériaux depuis le site d’apport avant le chantier puis le transport jusqu’au site de mise en dépôt à la fin des travaux. À cela s’ajoute le transport interne au sein du chantier.
Les émissions de GES des opérations de terrassement comprennent aussi des émissions liées à la mise en oeuvre des remblais en début de chantier et à leur excavation à la fin du chantier.
Sur la base des hypothèses faites pour ce cas d’étude, ces travaux de mouvements des terres conduisent aux émissions suivantes :
Dans le cas présent, les émissions complémentaires liées aux mouvements de terre sont donc limitées comparées aux émissions liées à la mise en place des solutions techniques de renforcement.


SYSTÉMATISER L'ÉVALUATION CARBONE POUR LES OUVRAGES GÉOTECHNIQUES


L’exemple présenté illustre comment le calcul des émissions de GES peut et doit devenir une étape systématique du processus de conception des ouvrages géotechniques. Orbow, plateforme collaborative développée par Terrasol, regroupe une base de données des projets, des reconnaissances associées, des outils d’analyses des données et de calculs des ouvrages. Cette application est conçue pour couvrir tout le cycle d’étude d’un projet géotechnique, et donc
devenir un outil quotidien du géotechnicien. Le module de calcul de l’empreinte carbone s’intègre dans la bibliothèque des modules de calcul.

Par ailleurs, la puissance des outils web s’exprime par leur faculté à se connecter facilement à d’autres bases de données, mises à jour et complétées régulièrement au fil du temps.
Si aucune base de données publique ne centralise pour le moment l’ensemble des données qui ont été agrégées pour la construction de l’outil présenté ici, espérons, vu l’importance du sujet, que cela se fera rapidement.
Il ne faut pas oublier que le calcul des émissions de GES des ouvrages géotechniques doit également s'intégrer dans une évaluation plus large réalisée pour l'ensemble du projet (une solution peut générer peu d'émissions via les ouvrages géotechniques, mais induire des émissions plus importantes via
la structure par exemple).
Enfin, mis à part la norme NF 15804 qui cadre le calcul du facteur d'émission d'un produit donné, il manque à l’heure actuelle une norme qui impose le calcul systématique de l’empreinte carbone. On peut espérer que les stratégies bas carbone nationale et européenne, ainsi que la nouvelle directive
CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), devraient permettre d'avancer rapidement en ce sens. À l’échelle de notre profession, cela pourrait trouver logiquement sa place dans une future révision de la norme cadrant les missions géotechniques.
À travers les différents groupes de travail de Syntec Ingénierie, du CFMS et de l’USG, le monde de la géotechnique s’est emparé du sujet. Terrasol s’engage d’ores et déjà concrètement dans cette voie, en particulier avec l’outil Ecow.

 

Charles Bernuy
Directeur de l’agence Rhône-Alpes et directeur stratégie bas carbone Terrasol
Gilles Chapron
Directeur projets Data et Orbow Terrasol
Jasmine Targhaoui

Ingénieure géotechnicienne Terrasol


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M² EXPOSITION INTÉRIEURE

6000

 

 

EXPOSANTS

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M² EXPOSITION EXTÉRIEURE

1 500

 

 

PARTICIPANTS

3000

 

 

 

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